Société

À qui profitent les privilèges ?

27 avril 2020 - par Coline Malot

© Joanito Daves

Une manière de se rendre compte de ce qui cause les inégalités, c’est d’identifier à qui elles profitent. La lutte contre les inégalités passe aussi et surtout par une réflexion personnelle sur sa place au sein du système et sur ses propres privilèges. Cet article est destiné en particulier à celles et ceux qui se considèrent comme “normal.es.aux” ou qui souhaitent questionner la notion de normalité. Normal, c’est quoi ? Qui serait normal.e ? Il est possible de répondre partiellement à cette question en interrogeant la répartition des privilèges au sein de la société.

Encore aujourd’hui, la “normalité” est dictée par la société, sur la base des appartenances sociales : la race (en tant que construction sociale), le genre, les conditions physiques et mentales, la sexualité, l’origine sociale, etc.

Or la plupart du temps, les personnes considérées comme normales, sont finalement des personnes appartenant au groupe dominant: blanc.he de peau, valide, cisgenre*, hétérosexuel.le, classe sociale moyenne (minimum). Pouvoir se considérer comme étant dans la normalité est déjà un privilège en soi. Les privilèges peuvent prendre différentes formes : avantage de salaire, occuper des postes de pouvoir, voir dans les médias les gens de mon groupe social largement représentés, etc.

Pile les privilèges, Face les oppressions !

Les privilèges sont accordés, et consacrés par des institutions comme l’Etat, l’école, la police, etc. C’est par des mécanismes du pouvoir particulièrement insidieux que les privilèges sont octroyés. De sorte qu’un statut privilégié peut échapper à la conscience de la personne qui le possède. À l’inverse, les personnes qui ne sont pas à des places de privilégié.e.s en ont généralement bien conscience.

La pression pour éviter cette conscientisation est grande, puisque l’accepter implique d’être critique envers soi-même de questionner le contrôle qu’on a sur notre propre vie et sur le monde qui nous entoure. Reconnaître sa position de privilégié n’est donc pas simple, car cela demande d’abandonner le mythe de la méritocratie.

Enfin, il peut-être aussi difficile de se penser privilégié.e lorsque nous subissons d’autres formes de désavantage. Une situation économique peu favorable, pourrait tendre à nous faire oublier les avantages liés à notre couleur de peau ou à notre genre par exemple.

Quand vient l’intersectionnalité tout s’éclaire !

Dans la compréhension des privilèges, les lunettes intersectionnelles sont précieuses puisqu’elles permettent de comprendre les relations d'oppression (racisme, sexisme, classisme, homophobie, validisme…) comme interdépendantes et se renforçant les unes les autres. Ces lunettes permettent aussi de visibiliser la pluralité des identités qui nous composent. En effet, nous sommes chacun.e susceptibles d’être privilégié.e et désavantagé.e par rapport à d’autres sur une ou plusieurs desdites dimensions.

"Le privilège est par définition un avantage particulier. Il n’est pas gagné ni créé par l'effort ou le talent individuel, mais bien accordé aux individus en raison de certains aspects de leur identité sociale, reconnus arbitrairement comme plus légitimes que d’autres par la société dominante."

“Check tes privilèges”

Le privilège n'est pas quelque chose dont on peut se défaire dès qu’on se rend compte qu'il existe. Après avoir pris conscience de ses privilèges, la question est comment agir pour que ceux-ci ne soient plus des avantages au détriment des autres.

  • Ne jamais cesser de se questionner sur ce qui nous paraît évident au quotidien, sur nos prétendus mérites et autres avantages.
  • S'éduquer et chercher par nous-mêmes les informations nécessaires pour comprendre le vécu des minorités, cela implique de ne pas se contenter que des versions scolaires et dominantes de l’histoire sur la colonisation et l’immigration.
  • Penser que notre “déconstruction” est suffisante constitue souvent une erreur.
  • Écouter, aider lorsque c'est demandé. Rester en retrait quand c'est suggéré. Parfois, notre présence et/ou notre voix n’est pas nécessaire : respecter et considérer la volonté de nonmixité comme outil d’auto-émancipation.
  • Ne pas faire de comparaison entre des expériences interpersonnelles désagréables et celles des minorités qui sont liées à des oppressions systémiques et structurelles, elles ne peuvent être résumées à de simples rapports interpersonnels.
  • Ne pas prendre la parole à la place des personnes concernées, servir de support et de relais à leurs luttes.
  • Participer à la conscientisation des autres sur leurs propres privilèges et les orienter sur comment iels peuvent devenir de meilleur.e.s allié.e.s/complices.

 

Quelques idées d’outils à utiliser dans un groupe

  • “Attaque-toi au comportement, pas à la personne elle-même”.

Si dans un groupe une personne agit d’une manière oppressive par ses mots ou par ses gestes, le mieux est de se concentrer sur les mots ou le comportement en question : expliquer pourquoi ceux-ci causent une violence à d’autres et pourquoi mots et comportements maintiennent un système d’oppression.

  • Corriger ses propos : “Aïe !” / “Oups !”

Nous avons tou.te.s nos biais individuels dans notre manière de voir la société. Cela nous conduit, même avec toute la bonne volonté du monde, à dire des choses maladroites ou à utiliser des termes qui sont pour nous anodins, mais qui peuvent être violents pour d’autres.

On peut ainsi convenir à l’avance d’un code. Pour adresser rapidement ces propos, il est possible de réagir facilement en disant : “Aïe !”. La personne qui parle prend ainsi conscience du fait que ses mots ne sont pas appropriés. Elle répond par “Oups !”, et peut continuer son discours sans plus attendre, en utilisant des mots plus adaptés.

  • “Exprime-toi !” / “Laisse la place !”

La plupart du temps, les personnes dominantes/les plus en confort s’expriment davantage dans un groupe. Si on fait partie de ces personnes-là, c’est utile de faire un pas de côté et de laisser la place à celles et ceux qui parlent moins, qui seront au contraire encouragé.e.s à se faire plus entendre.

  • La règle des 5 secondes

Si on fait partie des personnes qui ont l’habitude de s’exprimer dans un groupe, on peut prendre l’habitude d’attendre 5 secondes avant de parler, de manière à laisser davantage de place à celles et ceux qui ont moins l’habitude d’être écouté.e.s de prendre la parole.

 

Article réalisé par Colline Malot et Sylvain Pugeat, journalistes citoyen.ne.s, équipe Magma Bruxelles

 


Bibliographie - Pour aller plus loin :

  • Être blanc.he : Le confort de l’ignorance ; Nicolas Rousseau et Betel Mabille, BePax, 2019
  • White privilege: Unpacking the invisible knapsack ; Peggy McIntosh, 1988

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