Société

Journal intime d’une invisible...

19 janvier 2022 - par Angelica Bastidas

© "Ombre" Photo : Angelica Bastidas "Je suis comme une ombre qui apparait et disparait en fonction de la lumière que je reçois"

Tout d’abord, Cher.e lecteur, lectrice c’est la première fois que je t’ouvre mon cœur et ma vie. Alors, je veux te souhaiter une très bonne lecture. J’espère que dans ces courtes lignes, tu vas trouver quelques motivations pour ne pas permettre que je reste invisible.

 

Premièrement, mon métier, c’est comme on dit modernement… « technicienne de surface ». Alors, chaque matin, je me réveille à 5 h pour aller travailler. Pendant l’été c’est bien. Je rencontre de magnifiques levers de soleil. Mais, là maintenant il fait froid, obscur. Même mon petit MAX (mon chien) a peur de sortir se promener. Avec des journées aussi grises, il n'est pas facile de se motiver pour aller travailler…

Mais non ! Au contraire, il est très facile de se motiver pour aller travailler. Parce qu’Il faut payer le loyer, la nourriture, les vêtements, l’internet. De tout façon je n’ai pas le droit d’arrêter de travailler, même à 70 ans. Parce que ma pension n'est pas suffisante pour payer toutes les dépenses, même si je ne travaille pas au même rythme qu'avant, je dois le faire.

D’ailleurs, je travaille depuis de nombreuses années, pour vous dire la vérité, je travaille depuis l'âge de 13 ans. Pendant cette période, j'ai occupé différents emplois, et le plus courant c’est le nettoyage. J'ai eu de très bons patrons qui me respectaient et m'aimaient beaucoup. Malheureusement, j'ai aussi eu des patrons qui me traitaient très mal. Mais l'une des choses qui m'a le plus blessée dans ce type de travail, c'est le regard que les gens portent sur moi. A de nombreuses occasions, lorsque je travaille, les gens passent devant moi et baissent les yeux ou détournent le regard rapidement.

En particulier, je me souviens d'un jour où j'étais sur mon lieu de travail. Ce jour-là, le facteur est arrivé plus tôt que d'habitude. Mon patron était occupé par un appel téléphonique, alors j'ai décidé de recevoir le courrier. J’étais excitée d'aider mon patron, alors je suis allée avec le courrier pour le lui remettre  et sa réponse a été "pourquoi as-tu réceptionné le courrier ? Tu devrais juste faire ton travail qui est de nettoyer, je m'occuperai du reste". Je pensais vraiment que j'aidais mon patron, je n'avais pas de mauvaises intentions. Ce que j'ai ressenti à ce moment-là, c'est une grande tristesse parce que je ne pouvais pas prendre une seule décision aussi simple que de recevoir le courrier.

De plus, comme je l'ai déjà mentionné, je dois arriver au travail très tôt tous les jours parce que tout doit être parfaitement propre pour commencer la journée. Cela me donne l'impression d'être invisible aux yeux des gens. D’abord, à de nombreuses occasions, lorsque je suis un peu en retard pour finir mon travail et que les gens arrivent, ils me voient comme quelque chose d'étrange. Ils n’osent pas  me dire bonjour, ils ne font pas attention à mon travail. En particulier maintenant que nous sommes dans la saison froide, beaucoup arrivent avec des parapluies mouillés et des chaussures sales et ne se soucient pas vraiment du fait que j'ai nettoyé. Il est très facile pour eux d'arriver chaque jour et de trouver tout propre et bien rangé, même s'ils sont conscients que la veille ils ont tout laissé en désordre. Ils pensent que, comme par magie, tout sera rangé le lendemain.

« Le plus triste, c'est de savoir que je ne suis pas la seule à avoir cette impression de vivre de manière invisible. J'ai plusieurs amis qui ressentent la même chose ou pire que moi ».

Je pense que les emplois invisibles sont dus à la manière dont la société est construite, car des emplois comme le nettoyage, le ramassage des ordures, le nettoyage des rues, etc. sont socialement liés aux personnes pauvres et sans éducation. Je connais personnellement des cas de jeunes qui ont travaillé dans certains de ces emplois invisibles afin de payer leurs études. Dans mon cas personnel, j'ai travaillé pour pouvoir payer les études de ma fille. Aujourd'hui, ma fille est une personne qui a un bon emploi et elle n'a pas à vivre cette tristesse d'être invisible tous les jours.

Je pense que nous devrions avoir plus d’espaces neutres et plus favorables pour éviter de juger ou d'avoir des préjugés sur certaines professions par rapport à d'autres, des espaces où on peut être tel qu’on est sans donner de l’importance au classement social. Pour moi, il est très important d'avoir de bonnes relations interpersonnelles, d'être capable de sourire et de dire bonjour à tout le monde, qu'il s'agisse du directeur de l'entreprise, d'un chanteur célèbre ou de la personne chargée de porter les valises à l'hôtel. On a tous droit au même respect.

L’un des messages que j'aimerais dire à voix haute est que, quel que soit votre emploi, votre situation économique, la taille de votre maison, au bout du compte, nous travaillons tous pour pouvoir payer nos frais de subsistance et avoir une vie digne. Donc, ce qui compte vraiment, c'est de pouvoir vivre notre humanité, cette humanité qui est solidaire, sensible, respectueuse, qui nous unit en tant qu'espèce, qui nous fait grandir chaque jour.

Pour finir je vous invite à traiter avec amour et respect chaque être humain et chaque être vivant, parce que nous sommes sur cette planète et demain nous ne savons pas où nous allons nous trouver.

 

De tout mon amour,

Une invisible

 

"Paysage" Photo : Angelica Bastidas. C'est le paysage qui m'accompagne chaque jour, solitude et silence.