Relations

Zaïna : entièrement Belge, complètement Congolaise

19 septembre 2016

© Amandine Kech

Peut-on composer son identité de diverses appartenances ? Du rejet à la reconnaissance, entre milieu ouvrier et collège huppé, Cuba et Uvira, Zaïna Assumani nous raconte une construction éprouvante et passionnante : celle de son identité métissée. Au regard qui questionne son origine, Zaïna donne sa réponse, ses réponses.

« Je suis née à Ottignies et j’y ai grandi. Quand on me demande d’où je viens, je sais ce que les gens cherchent à savoir… mais je leur réponds que je viens d’Ottignies. D’abord ils sont mal à l’aise, puis, ils ne se gênent pas pour poser plus de questions intrusives. »

Dans le meilleur des cas, ces gens sont réellement intéressés… mais dans le pire, ils sont méprisants ou expriment ensuite leurs stéréotypes racistes. Zaïna accepte avec patience ces questions sur ses origines si elles relèvent de la curiosité bienveillante, mais préférerait avoir la liberté d’en parler elle-même, quand elle le souhaite. Sans cesse confrontée à cette interrogation « D’où viens-tu ? », la question semble devenue moins géographique qu’existentielle pour elle.

 

Du rejet total vers une première acceptation

Petite, Zaïna se rend vite compte qu’elle est une exception : dans sa région, la fillette est une des seules enfants d’origine étrangère. A l’école maternelle, des élèves prétendent ne pas voir la maîtresse à cause de sa coupe afro. Ses cheveux crépus, elle n’en veut pas, et rêve d’avoir des cheveux tels que ceux de sa maman. Zaïna rejette alors tout ce qui a trait à l’Afrique : nourriture, vêtements, musique. Il lui arrive même d’être gênée de son papa congolais à qui on l’associe plus rapidement qu’à sa maman.

« Tu ne sais pas que tu es noire avant qu’on te le diseOn m’associait toujours à papa. Encore aujourd’hui, les gens peuvent comprendre que je suis la fille de mon père, mais pas de ma maman. »

Heureusement, l’école primaire lui donne un point de vue positif sur son côté africain : elle y trouve rapidement sa place. Les profs sont très inclusifs, ils collaborent par exemple avec l’asbl de la famille de Zaïna, «  Espérance revivre au Congo ». Elle se souvient d’avoir suscité l’intérêt de sa classe en y amenant une feuille de bananier, ou encore d’une visite mémorable de sa classe au Musée de l’Afrique Centrale, accompagnée de son père, membre de l’association des parents.

 «  Papa pouvait dire plus de choses que les guides du musée, il avait une connaissance que les autres parents n’avaient pas, j’étais très fière. »

 

Face aux suspicions de toute part : faire sa place, faire ses choix

L’adolescence annonce une période difficile pour Zaïna … Inscrite dans le collège huppé de sa ville, elle n’y compte qu’une petite dizaine d’ados d’origine étrangère. A la différence de couleur de peau, vient s’ajouter la différence de milieu social entre elles et les autres. Entourée de jeunes privilégiés au niveau économique, c’est le milieu ouvrier de sa maman qui se rappelle à elle :

« Mes arrière-grands-parents sont arrivés d’Italie dans les années trente. Ils fuyaient la misère. Ma mamie habitait dans une maison d’ouvrier, alors que les grands-parents de mes amis habitaient dans des châteaux… ou presque ! ».

L’adolescente doit à nouveau faire sa place dans un milieu homogène à tout point de vue : couleur de peau, milieu social, religion. Certains professeurs butent inlassablement sur ses nom et prénom tandis que d’autres révèlent un comportement intransigeant à son égard, donnant du sens aux conseils de son papa: travailler deux fois plus que les autres pour être certain d’être bien noté. 

« Il faut fournir plus d’efforts. Il faut sans cesse rassurer les gens sur le fait qu’on n’est pas un stéréotype. La discrimination est réelle : avec un même CV, mon cousin dont les parents sont congolais n’a pas obtenu les mêmes entretiens d’embauche que sa copine. Pour l’entrée en boîte de nuit, mon frère et moi, nous avons déjà été refusés, alors que nos amis avaient pu entrer. On ressent beaucoup de colère, et de la rage.»

A 16 ans, elle entame des recherches approfondies sur la migration en Belgique, les diverses cultures et religions, l’histoire et la politique du Congo et les mouvements  afro-américains. Une passion qui ne s’arrêtera plus : elle est aujourd’hui diplômée en Sciences politiques. Sa formation intellectuelle s’accompagne alors d’une transformation physique… en rupture avec les habitudes de son entourage pour qui une vraie Africaine défrise ou tresse sa chevelure, Zaïna, elle, rase ses cheveux …

 

Cuba et Congo : reconnaissance et réconciliation

Cuba : terre de révolution… aussi pour Zaïna. A 18 ans, elle réalise son rêve et s’envole pour un pays où elle aura « la couleur nationale ».  Moments magiques, se promenant seule dans les rues, elle expérimente un sentiment nouveau : personne ne la regarde, elle est noyée dans la masse.  Autre situation extraordinaire : vu sa couleur de peau, des Cubains s’exclament : «  Toi, tu es Cubaine, tu es de chez nous ! Même si tu n’es pas d’ici, tu es d’ici ! » Avec émotion, Zaïna raconte :

« C’était absolument génial ! Les gens, au lieu de me dissocier des autres, ils m’intégraient dans leur groupe. Ça m’a fait beaucoup de bien pour m’accepter comme je suis. »

Plus tard, elle trouve à nouveau une terre d’accueil au Congo quand elle y travaille comme coopérante. Son nom de famille étant lié à la région d’où vient sa famille, elle est très bien accueillie par les Congolais, qui lui souhaitent : «  Bon retour ! ».

« Ce voyage m’a réconciliée avec mon nom. Comme Ottignies, la ville d’Uvira, c’est chez moi ! »

Des sentiments très forts s’imposent à elle. Zaïna prend conscience qu’elle porte un bagage de codes culturels transmis par son papa: humour, comportements, relations de politesse ou encore, l’aisance à s’adapter à tous les milieux.

 

Sa réponse : « Je suis métis ».

« Je ne suis pas moitié-moitié, pas 50/50 ! Je suis 100% Belge et 100 % Congolaise ! Je suis moi-même, je suis un tout ! ».

Zaïna refuse d’être catégorisée. Et comme cette jeune femme a de la suite dans les idées, sa recherche va se poursuivre à la découverte de ce côté italien, ces grandes tablées de son enfance où l’on parlait fort. Quelque part en Italie, le village de Svaldi a vu naître son arrière-grand-père… Qui sait si Zaïna y découvrira qu’elle est aussi totalement italienne, rendant ainsi son identité d’autant plus métissée ?

Ce métissage dont Zaïna nous parle, c’est bien plus qu’une nuance de couleur de peau. C’est une évolution progressive dans le temps, faite de rejet et d’accueil, d’expérience et de recherche. Ce qui déchire nombre de jeunes aux identités métissées, c’est de croire qu’ils doivent définitivement choisir entre une origine ou une nationalité, une culture ou une autre, …notamment celle de leurs parents ou celle de l’école. Or, on peut les accompagner à construire leur identité plus sereinement, en reconnaissant ces diverses appartenances qui les composent, par davantage d’interculturalité à l’école[1] par exemple, comme l’a vécu Zaïna en primaire : offrir aux jeunes le temps de parler de leurs cultures, de leurs convictions, lors d’une fête ou à travers des projets d’expression, des travaux écrits, des exposés, des excursions, la rencontre de témoins,...ces activités peuvent être réalisées dans le cadre de la construction d’une culture commune, comme le propose le processus d’ « école citoyenne[2] ». Afin que tous les jeunes puissent être 100 % uniques, 100 % eux-mêmes !

 


[1] L’article 6 du décret «  Missions » de 1997 dit ceci : Préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.