Société

Ali : réalités et perspectives professionnelles d'un jeune immigré pakistanais

17 mars 2017

© Marie De Sloover

Ali Siddiqui, 22 ans, est né pakistanais et a immigré en Belgique il y a 7 ans. Depuis peu, Ali s'est lancé dans la vie active. Mais quelle réalité professionnelle vit un jeune immigré à notre époque ? À quels obstacles se confronte-t-il durant son parcours ? Et quelles aides sont mises en place ? Finalement, que peut-il espérer à l'avenir et que préconise-t-il pour améliorer la situation de jeunes comme lui ? C'est dans les bureaux de MagMA que j'ai eu la chance de le rencontrer et d'accéder à l'histoire enrichissante de son expérience professionnelle en Belgique.

L'arrivée d'Ali en Belgique a été motivée par la situation politique au Pakistan, que ses parents avaient décidé de fuir. La transition n'a pas été des plus douces, et il a fallu s'adapter tant bien que mal à une réalité bien différente de celle que sa vie au Pakistan lui promettait. Là-bas, me dit-il, il a dû quitter les études, la garantie d'un futur emploi et d'une situation confortable, et ici en arrivant il n'avait rien.

Entre études et travail : un choix qui s'impose

Une fois installé en dehors du centre de réfugiés avec sa famille, Ali débute les démarches pour reprendre les études, tout en s'attelant à la tâche d'apprendre le français. Le verdict est clair, sans son diplôme laissé au Pakistan, il doit recommencer les études secondaires. C'est donc ce qu'il fait en espérant pouvoir plus tard se lancer dans des études supérieures en informatique.

« Au Pakistan, j'avais fait plein de différentes choses. J'ai fait mes études secondaires, et puis j'ai commencé Microsoft [l'informatique]. En plus, en même temps, je jouais dans l'équipe locale de criquet. »

Malheureusement son projet d'études en informatique tombe momentanément à l'eau fin 2015, quand il se voit forcé d'arrêter les études secondaires. Étant l'aîné de la famille, et avec ses deux parents dans l'incapacité de travailler, la responsabilité de maintenir la survie financière du foyer lui incombe. De plus, Ali s'est marié cette même année avec une amie d'enfance restée au Pakistan, ce qui lui ajoute une responsabilité supplémentaire.

« Pour moi je voulais faire les études, aller le plus loin possible. [Mais] Parce qu'il y avait beaucoup de responsabilités, je n'avais pas assez de temps pour rester aux études et continuer. […] J'ai eu beaucoup de choses sur mes épaules donc voilà. Moi j'étais pas prêt. »

Une recherche d'emploi complexe : « Pour moi j'étais seul en Belgique ».

Cette phrase illustre avec beaucoup d'exactitude les premiers 6 mois expérimentés par Ali en tant que jeune chercheur d'emploi immigré. Rédiger un C.V. et des lettres de motivation, les deux sésames essentiels pour passer l'étape suivante du processus de recherche, a présenté pour lui de grosses difficultés. En effet, même au Pakistan il n'avait pas encore eu à faire ces démarches, et n'ayant presque aucune expérience professionnelle, il avait très peu de choses sur son C.V. : « juste mon nom, mon âge, mon adresse mail et les langues ». Malgré tout, il a envoyé sa candidature dans beaucoup de secteurs différents, et il a été confronté soit à des réponses négatives, soit à l'absence de réponse.

Certes, naviguer et maitriser les règles, codes et normes explicites et implicites du monde du travail belge, lorsqu'on est fraichement immigré du Pakistan, ne s'est pas avéré chose aisée. Mais le plus grand obstacle à ses yeux qu'il a rencontré, c'est son absence de diplôme, du « papier » cette clef d'accès indispensable à l'emploi.

« Quelles sont vos études ? Prouvez- le nous par un papier. »

Voici les phrases entendues et répétées, qu'Ali n'est jamais arrivé à satisfaire.

Duo for a Job comme tremplin

Après 6 mois sans succès, Ali découvre l'association « Duo for a job » via une foire à l'emploi. Il apprend alors que le but de Duo for a Job est d'aider les jeunes à accéder à un emploi, via un programme de mentoring, réalisé avec un aîné expérimenté. Cette association « vise à faire disparaitre les inégalités d'accès au marché du travail pour les jeunes issus de l'immigration, à valoriser davantage nos aînés, à rompre avec la ségrégation des âges, à encourager la mixité ethnique et les actions intergénérationnelles, et enfin, à combattre les stéréotypes d'âge et la xénophobie en recréant du lien social, de la compréhension et de la solidarité de proximité »[1].

Répondant clairement aux critères du programme, Ali débute avec Eva, sa mentor, un contrat de 6 mois, qui lui garantit soit un stage à la fin, soit « quelque chose pour s'améliorer ». Au début, ils se centrent sur l'apprentissage des lois et droits ayant cours dans le monde du travail belge. Il se familiarise ainsi avec les différentes institutions liées à l'emploi, tout en découvrant l'existence d'aides à l'emploi.

Le reste du travail réalisé par Ali et Eva se porte, outre sur la rédaction correcte d'un C.V. et de lettres de motivation, également sur la manière appropriée de se conduire face à un potentiel employeur. « Là je suis très calme, mais à l'époque j'étais très dynamique. On a beaucoup travaillé sur ma personnalité », me dit-il avec sourire. Il a dû apprendre à se tenir dans telle posture, à parler de telle façon, etc. Beaucoup de ces manières étaient contre-intuitives pour lui, car dans son pays d'origine, certains gestes ici mal considérés étaient tout à fait de mise dans la même situation.

Au bout du partenariat, grâce au réseau relationnel de sa mentor et aux apprentissages réalisés, Ali décroche un contrat d'essai pour travailler dans un grand hôtel. Aujourd'hui, ça fait 9 mois qu'il y est employé à mi-temps, avec des contrats à durée déterminée. Il attend maintenant posément mais non sans enjeux, le renouvellement de son contrat et espère bénéficier dans le futur d'un temps plein. De fait, Ali espère pouvoir gagner un salaire plus élevé, afin d'emménager dans son propre appartement avec son épouse et de subvenir entièrement à leurs besoins.

De Duo for a Job, Ali ne retient pas seulement le résultat, mais aussi l'aide psychologique et surtout les liens sociaux noués avec son mentor et l'équipe.

Perspectives d'avenir

Ali est quelqu'un d'organisé, qui aime avoir un plan bien établi. Et c'est effectivement le cas en ce qui concerne son avenir professionnel. C'est pourquoi, il a prévu de travailler encore quelques années à l'hôtel, afin d'accumuler de l'expérience. Ensuite, il compte s'arrêter pour reprendre les études et obtenir un diplôme en informatique, parce que là « le travail que je fais, je sais très bien que je suis capable de plus grand que ça ».

Le challenge, les langues, le partage des cultures, une ambiance dynamique voilà ce que représente un environnement professionnel de qualité pour Ali. Quant au contenu du travail, il aimerait trouver quelque chose qui allie un travail plus manuel et de terrain, avec des tâches informatiques.

Au final, l'histoire d'Ali nous pose les questions suivantes : comment rendre plus accessible le marché du travail aux jeunes arrivants immigrés ? Comment améliorer à notre échelle et de manière systémique le processus de recherche et d'accès à l'emploi ?

Pour Ali, concrètement, il faudrait rendre possible une meilleure communication entre employeur et candidat, c’est-à-dire, donner une chance à des jeunes chercheurs comme lui de faire leurs preuves, au lieu d’être directement évincés car il manque telle ligne sur leur C.V. ou tel certificat. Il explique qu’avec beaucoup de motivation et de soif d’apprendre, il est autant capable qu’un autre.

« Parfois ça arrive qu'il y a quelqu'un qui sait travailler très bien, mais il ne sait pas le prouver car il n'a pas le papier ».

C'est surtout ce dernier obstacle qui a le plus choqué Ali. Le diplôme ne faisant pas tout, il propose plutôt que les institutions chargées de l'aide à l'emploi visent à former pratiquement les jeunes et proposent plus de stages, qui permettraient de s'insérer plus facilement dans le monde du travail, et d'apprendre concrètement le métier.


[1]www.duoforajob.be/fr/a-propos/