Société

Le combat des mères contre les violences policières

11 janvier 2021 - par Sarra El Massaoudi

© Mme Latifa Elmcabeni

Le nombre de plaintes pour discrimination lors d’un contact avec la police ou la justice augmente en Belgique. Unia, le service public luttant contre la discrimination a ainsi traité neuf dossiers de plus en 2019 qu’en 2018 et dans une grande partie des cas, les victimes sont des personnes racisées. Dans un rapport, le Comité P précise que ces violences surviennent généralement lors d'interventions non planifiées, comme des contrôles.

 

Insultes, humiliations et violences physiques sont autant de façons dont les contrôles peuvent déraper, y compris avec les plus jeunes. Mehdi était ainsi âgé de 17 ans lorsqu'il a été mortellement percuté par un véhicule de police à la sortie de la galerie Ravenstein, dans le centre de Bruxelles, le 20 août 2019. L'année suivante, c'est Adil, 19 ans, qui a subi le même sort à Anderlecht.

Une réalité à laquelle se trouvent confrontées de nombreuses mères, partagées entre la volonté de transmettre la lutte contre les inégalités et celle de protéger leurs enfants. En France, la militante Fatima Ouassak, à l'origine du syndicat de parents le Front de mères, vient de publier La puissance des mères. Pour un nouveau sujet révolutionnaire. Le livre prône notamment la lutte contre les injustices comme projet pédagogique. 

Selon l'autrice, la fonction de la présence policière et des contrôles d'identité est de maintenir les Belges et Français issus de l'immigration dans un statut d'étrangers. "Ils ne veulent pas de nous et nos enfants dans l'espace public. C'est la raison pour laquelle nous devons nous le réapproprier en occupant le territoire. Il faut organiser des événements, des pique-nique entre voisins pour que l'on soit considéré comme étant chez nous dans nos quartiers. Nous devons exister dehors, en bas de l’immeuble, dans la rue, sur la place centrale, en occupant tout l’espace dont on a besoin et pour que les enfants puissent courir partout."

Politologue et consultante au contact des politiques publiques, elle entend ainsi rompre avec la posture de la mère-tampon qui empêche ses enfants de sortir dans le quartier. "Je ne dirai jamais à mes enfants qu'ils doivent en faire deux fois plus que les autres car ce serait les rendre responsables des violences qu'ils subissent. Au contraire, je vais les écouter et lutter pour qu'ils puissent rester des enfants."

 

"On a peur de libérer la parole"

Être à l'écoute et investir le quartier, c'est aussi ce que prône Latifa Elmcabeni, fondatrice du collectif des Madrés qui lutte contre les discriminations et les violences policières. "J'ai lancé le collectif après que mon fils ait été giflé par un policier. Quand je lui ai dit d'aller voir un médecin et de déposer plainte, il m'a dit "C'est pas grave, il y a pire, on a l'habitude". Ça m'a interpellée car on a des droits, quelle que soit notre couleur de peau ou notre origine."

La militante bruxelloise insiste sur l'importance de la communication. "Communiquer avec ses enfants reste tabou. Les jeunes ne parlent pas des violences à leurs parents car ceux-ci ont confiance en la police et ne les croient pas, regrette-t-elle. C'est caractéristique de notre communauté : on a peur de libérer la parole et de demander à ce que nos droits soient respectés. A tel point que certains oublient qu'ils ont des droits. Et avec le coronavirus, c'est encore pire : les gens sont deux fois plus endormis et il y a encore plus de stigmatisation."

Pour changer cela, Latifa Elmcabeni a organisé des formations dans des maisons de jeunes, en collaboration avec la Ligue des droits humains. L'objectif : rappeler leurs droits aux citoyens et les pousser à agir lorsqu'ils sont victimes de discrimination. "Créer des débats est aussi très important pour que les jeunes puissent s'armer oralement et apprendre à argumenter."

 

De la répression à la communication

Autre arme capitale selon elle : l'interpellation citoyenne. "Exister politiquement dans son quartier, c'est mener des luttes ensemble. Chez nous, il n'y a que les bobos qui l'utilisent pour défendre les arbres mais on est en démocratie, nous avons aussi droit à la parole et nous devons la prendre pour parler des violences, de l'enseignement, de la santé en lutte." Lors de la première interpellation au conseil communal, le collectif compte quatre mamans. A la cinquième, il est soutenu par près de 200 personnes. Une influence qui ne plaît pas à tout le monde, mais la Bruxelloise assume. "Je suis l'emmerdeuse du haut de Saint-Gilles qui vient se mêler du bas de la commune pour que les services à la jeunesse fassent leur travail correctement."

Latifa Elmcabeni estime qu'un shift doit s'opérer dans la prise en charge des jeunes, tant au niveau familial que politique. "Il faut arrêter de fonctionner dans la répression. Si on ne commence pas à être à l'écoute et à libérer la parole, la haine va grandir dans le cœur de nos enfants, ce qui est très dangereux car ça a des conséquences sur leur santé mentale. C'est ce qui va les pousser au décrochage scolaire, à la délinquance et à la consommation de stupéfiants."

Un destin malheureux auquel les jeunes ne sont pourtant pas condamnés. "Dans plusieurs quartiers, les politiques ne considèrent les jeunes que comme des délinquants, même les éducateurs de rue ne vont plus vers eux car ils en ont peur." Pour leur prouver le contraire, la madré a lancé une cuisine mobile à Saint-Gilles. "Toute la journée, les jeunes sont venus faire des crêpes et du chocolat chaud pour les passants. C'est un projet tout simple qui a montré à la commune qu'ils ne sont pas des voyous, il suffit de les écouter et d'essayer de les comprendre."

Aujourd'hui principalement active à Saint-Gilles, la militante bruxelloise souhaite développer des connections avec d'autres communes de la capitale. "J'y crois mais c'est difficile parce qu'on ne peut pas forcer les gens à militer. Une bonne mobilisation, ça doit venir du cœur, ça ne peut pas être imposé."

Pas de doute, pour Latifa Elmcabeni et Fatima Ouassak, militer protège l'enfant. Dans son livre, l'autrice l'assure : "Élever des résistants dans un monde qui humilie, éborgne et tue les résistants est un risque. Mais c'est un pari que je fais sur l'avenir. Si on le fait toutes et tous, les risques sont bien moindres et le pari peut être gagné." C'est tout le mal qu'on lui souhaite.

Sarra El Massaoudi

Volontaire dans l’équipe de rédaction
de Magma