Société

Parcours d'une battante : Hinde, chef d'entreprise dans le transport durable

10 novembre 2014

© Héléna Van Aelst

Chef d'une entreprise de 8 salariés à seulement 33 ans, Hinde Boulbayem me reçoit dans ses bureaux pour parler de son parcours atypique. Je la rencontre aux portes de Bruxelles, dans une zone industrielle qui abrite SUMY, son entreprise de transport durable et de logistique écologique.

Une entrepreneuse visionnaire

« Dans quelques années, la circulation dans les villes sera encore plus engorgée. Les entreprises auront besoin de plus de temps pour réapprovisionner les magasins. Cela se répercutera sur les prix des produits, et les consommateurs devront payer plus cher leurs aliments et leurs médicaments. »

Pour répondre à ce défi, Hinde Boulbayem a créé SUMY - Sustainable Urban MobilitY une entreprise qui propose des services innovants aux professionnels de la distribution en zone urbaine.

SUMY distribue surtout des produits de consommation de type pharmaceutique et alimentaire. La plateforme logistique est située à proximité du ring de Bruxelles. Les camions y déchargent les produits de leurs clients, et les petits camions de SUMY prennent le relai pour livrer en ville. Un projet durable, comme l'explique Hinde :

« Cela réduit le volume de trafic généré par la circulation de semi-remorques et augmente la régularité des livraisons. Nos véhicules de transport de marchandises roulent au gaz naturel : en plus d’être silencieux, ils n’émettent quasiment aucune particule cancérigène ! »

Passionnée d'art et de musique

Hinde ne se destinait pas du tout à l’entreprenariat. Quand je lui demande de se présenter, elle me parle plutôt de sa passion pour les arts :

« J’ai eu un parcours scolaire classique, à l’Athénée royal de Waterloo, puis j’ai étudié à l’Institut Royal d’Histoire de l’Art et d’Archéologie de Bruxelles. Je faisais aussi du solfège et du piano : l’art et la musique me plaisaient énormément. Je voulais être guide de musée pour transmettre ces connaissances artistiques aux jeunes générations, et pour être entourée de beauté toute la journée. »

Après une formation de trois ans, Hinde obtient le concours d’intervenant artistique. Elle enseigne alors dans des écoles dites à forte mixité en Belgique, puis en Asie. Son parcours va cependant changer radicalement de direction lorsque son père, lui-même entrepreneur, va faire appel à ses compétences. 

Un parcours atypique

« Mon père est arrivé dans les années septante en Belgique. Il a d’abord travaillé dans la métallurgie, et après une longue expérience dans le secteur de la logistique de produits frais, il a créé son entreprise de transport puis son entreprise de distribution de produits alimentaires. »

Les deux entreprises se portent bien pendant 20 ans, mais la société de transport finit par connaître d’importantes difficultés.

Son père se tourne alors vers elle: « J’avais commencé à travailler très jeune, et mon père avait toujours eu des retours positifs de mes employeurs, qui lui disaient que j’avais un bon sens de la gestion. Grâce à mon expérience d’enseignante, j’avais aussi acquis des capacités à gérer une équipe et à mener des projets. »

Hinde devient stagiaire dans l’entreprise de son père et commence une formation en comptabilité, gestion et transport logistique. Son père finit par fermer son entreprise de transport mais entretemps, Hinde s’est passionnée pour le secteur de la mobilité. Elle crée alors SUMY, avec le soutien financier de son père : « il avait l’argent, moi j’avais l’idée et les compétences de gestion. »

Les entrepreneurs souffrent

Lorsque je lui demande quelles sont les difficultés qu’elle a rencontrées dans son parcours, je m’attends à ce qu’elle me parle de discriminations en raison de son genre ou de son origine. En effet, les femmes sont sous-représentées parmi les entrepreneurs[1] et le transport logistique est un monde plutôt masculin. A l’inverse, les personnes issues de l’immigration sont surreprésentées chez les entrepreneurs,[2] notamment parce que l’entreprenariat est une alternative aux discriminations du marché du travail. Mais Hinde n’a pas connu ses difficultés-là : elle n’a fait l’expérience du racisme qu’une seule fois, à 19 ans. Et en tant que femme entrepreneur dans un milieu masculin, elle ne se sent pas non plus victime de préjugés.

Ses difficultés viennent plutôt de la rareté des financements pour les jeunes entreprises et de la précarité de son statut d’indépendante.

Hinde se paie moins que la norme par rapport au volume de travail fourni et souffre des désavantages de son statut :

« La constitution d’un patrimoine en achetant un tout petit bien est inenvisageable à cause des lourdes charges sociales et fiscales qui pèsent sur les revenus des jeunes entrepreneurs. De plus, l’accès aux fonds d’investissement pour les jeunes entreprises innovantes est limité. »

Elle poursuit :

« Les entrepreneurs souffrent. Il paient les mêmes cotisations que leurs salariés, mais n’ont pas les mêmes droits à la santé, à la retraite ou au chômage. C’est une situation très précaire. A l’époque de mes parents, les jeunes pères de familles pouvaient devenir propriétaires, il y  avait la sécurité du logement. Aujourd’hui, c’est justement cette quasi-impossibilité d’accéder à la propriété qui empêche la plupart des jeunes femmes et des mères de famille d’entreprendre.»

Ce ne sont pas les vingt "non" qui comptent, c'est le "oui"

Les financements pour les jeunes start-ups sont rares, ce qui empêche SUMY de grandir. Toutes les banques exigent en effet cinq ans d’activité ou des garanties financières ou patrimoniales comme conditions d’un prêt aux entreprises. Créée en juillet 2013, SUMY ne satisfait pas à ces critères restrictifs.  

Hinde ne désespère pas pour autant. Sa stratégie compte diverses options pour développer SUMY. Elle cherche à obtenir des investissements privés et à gagner en visibilité et en reconnaissance par le biais de concours. Elle envisage aussi d’exporter son projet à l’étranger, ou d’intégrér SUMY à un leader international de logistique et transport qui souhaiterait développer une branche durable.

Ce qui lui plaît dans son statut d’entrepreneur ?

« Je suis contente de participer au bon déroulement du pays, même si nous ne sommes qu’un petit maillon de la chaîne. Grâce à SUMY, il y a des gens qui vont pouvoir manger et se soigner, et surtout mon équipe et moi allons trouver des solutions innovantes à des problèmes importants. »

Quand je lui demande s’il y a tout de même des choses faciles dans le statut d’entrepreneur, elle répond avec optimisme:

« Il y a beaucoup de hauts et de bas. Il ne faut pas compter ses heures, et il faut savoir accepter beaucoup de défaites tout en trouvant l’énergie pour continuer de l’avant. Ce ne sont pas les vingt « non » qui comptent, c’est le oui. »

 


[1] En 2010, 30% des femmes étaient entrepreneurs (étude JUMP).

[2] Pour de nombreuses personnes issues de l'immigration, qu'il s'agisse de la première génération ou des générations suivantes, l'auto-emploi consiste une réponse au fort taux de chômage auquel certaines de ces communautés doivent faire face, ainsi qu'aux discriminations sur le marché du travail (étude Agence bruxelloise pour l'entreprise).