Nord/Sud
Exil et désillusion : le chemin de Khalil
13 novembre 2015
© Amadeo Bosser
Khalil est un jeune Syrien de 27 ans qui a traversé le Proche-Orient et l'Europe pour fuir la guerre qui ravage son pays et venir vivre le « rêve Européen » en Belgique. Cependant, après des mois de voyage dans des conditions difficiles, sa situation en Belgique reste très incertaine. Khalil, rencontré à Bruxelles où il attend depuis une dizaine de mois le dénouement de sa demande d'asile, nous dépeint avec un sourire amer un tableau sombre et désillusionné de sa recherche d'une vie normale.
L’exil et la traversée de l’Europe
Il y a encore quelques années, au commencement de la vague de révoltes soulevée par le printemps arabe, Khalil était officier dans l’armée Syrienne de Bachar el-Assad. Quand la révolution éclate en Syrie cependant, l’armée bombarde le quartier de Khalil, tuant son frère et détruisant sa maison. A la suite de cet évènement, Khalil décide de changer de camp et de rejoindre le parti des rebelles. S’en suivent quatre années de lutte armée et d’horreur où Khalil assiste à la destruction progressive de son pays et au massacre de sa population. Gravement blessé lors de combats, il est évacué vers la Turquie où on lui enlève pas moins de six balles du corps. C’en est trop pour Khalil qui décide avec son père de quitter le pays pour vivre une nouvelle vie en Belgique, pays dont on lui vante l’humanisme et le respect des droits humains.
Khalil, encore affaibli et handicapé par ses blessures et accompagné de son père, quitte donc la Turquie et s’embarque pour la Grèce, où il est rapidement arrêté et incarcéré parce qu'il est déclaré migrant illégal. Il passera cinq mois en prison avant d’être finalement libéré et de continuer sa route à travers la Macédoine puis la Serbie. Dans ce dernier pays il se réfugie un mois durant dans une forêt afin d’échapper à la police, puis, face à l’impossibilité de franchir la frontière, il retourne en Grèce où il prend un bateau pour l’Italie. L’accueil des autorités italiennes est pour le moins agressif et Khalil explique avoir été tabassé par des policiers lorsque, épuisé et menacé d’être empêché de continuer sa route vers le nord, il aurait refusé de donner ses empreintes digitales.
L’arrivée en Belgique
Lorsqu’il arrive finalement au bout de son périple, Khalil s’inscrit à l’Office des Etrangers et puis est convoqué au CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides) où, durant de nombreux entretiens étalés sur une période de sept mois, il raconte son périple et, contre l’avis de la juriste qui suit son dossier, son passé d’officier. S’en suit une période d’attente particulièrement pénible qui dure encore aujourd’hui. Il est interdit à Khalil de quitter le territoire de la région bruxelloise et il ne lui est pas permis de travailler de manière légale sans disposer de papiers en règle. Au moment de rencontrer Khalil, cela faisait déjà dix mois qu’il attendait la régularisation de sa situation dans le quartier de la Gare du Nord à Bruxelles. Déçu et frustré, il nous donne plusieurs causes à la lenteur des démarches administratives. Selon lui, la juriste s’occupant de son dossier ferait preuve de xénophobie à son égard, tandis que la situation des réfugiés en Belgique serait perçue de manière erronée par les organismes en charge de l’accueil, ceux-ci faisant preuve d’ignorance et de maladresse quant à la situation au Proche-Orient. Ainsi, son passé de combattant constitue à son avis le plus grand motif de méfiance de la part des autorités.
« Depuis mon arrivée en Belgique, j’ai vu un grand nombre de réfugiés arrivés en même temps ou après moi obtenir une régularisation de leur situation. Parmi ceux-ci j’ai reconnu plusieurs soldats du régime de Bachar el-Assad, mais je sais que contrairement à moi ces gens-là ont caché leur passé de soldat en arrivant à Bruxelles. Je trouve cela extrêmement injuste car je perçois cette situation comme une punition par rapport à mon honnêteté.»
Ce sentiment d’être injustement pénalisé s’ajoute à un état de nervosité généralisé dans le quartier, et Khalil fait état de sérieuses tensions au sein de la communauté de migrants syriens:
« Les tensions liées à la guerre en Syrie nous poursuivent jusqu’ici étant donné que chaque faction a généré son flux d’exilés vers l’Europe et la Belgique. Je reste discret au sujet de mon passé en Syrie car si cela s’ébruitait ma vie serait en danger ici-même ».
Une amère désillusion
En définitive, Khalil se retrouve en Belgique face à une réalité précaire et incertaine, très éloignée du tableau idyllique brossé par son père au moment de quitter la Syrie. Il déclare d’ailleurs garder du ressentiment envers son père pour l’avoir « trompé » en le convaincant d’entreprendre ce voyage vers la Belgique :
« Au moment de définir la destination de notre exil, mon père a fortement insisté pour que nous venions en Belgique, car il disait que ce pays tenait les droits humains en haute estime et fournirait à des réfugiés comme nous la possibilité de trouver un travail et un logement. Au final, la réalité est toute autre et on me refuse le droit au travail. J’ai perdu ma liberté en venant ici et maintenant je regrette amèrement d’avoir écouté mon père. Quand je lui reproche de m’avoir fait engloutir mes économie (13 000 euros) dans ce mensonge, il me dit avoir fait ça pour sauver ma vie. Et quand je lui dis vouloir retourner combattre au pays, il fond en larmes et me supplie de rester ».
Déception et dégoût sont sans nul doute les deux termes qui résument le mieux les sentiments actuels de Khalil. Selon lui, l’image qu’il se faisait des droits humains en Europe est irrémédiablement détruite. Malgré sa reconnaissance envers la Belgique pour lui avoir permis de subir une opération chirurgicale liée à ses blessures de guerre soignées de manière bâclée en Turquie, il dénonce les conditions d’existence dans lesquelles il se retrouve englué. Son seul réconfort est la présence de son père, et la pensée que la situation est encore bien plus dure pour les réfugiés venus accompagnés de leur famille. Sa fiancée restée au pays, m’explique-t-il, a tragiquement été tuée dans les combats.
Quelle échappatoire ?
Face à ce constat amer, Khalil ne voit que deux issues; soit continuer son voyage vers la Scandinavie en espérant que les conditions d’accueil lui permettent de trouver un travail et fonder une famille, soit retourner combattre en Syrie jusqu’à la fin des hostilités, puis reconstruire sa vie dans le pays pacifié.
A la question de savoir quels sont ses projets d’avenir, le regard de Khalil se teinte d’une lueur mélancolique et fatiguée :
« Je n’ai absolument aucun plan, que ce soit à court ou long terme. Je ne sais pas dans quelle direction m’engager et je ne vois vraiment pas comment sortir de cette situation. Jusqu’à maintenant j’ai survécu en travaillant au noir comme agent de sécurité, mais je me rends bien compte que cela ne peut pas durer indéfiniment et que cela pourrait même compliquer encore plus ma demande de régularisation en cas de contrôle. Je n’ai pas l’impression de recevoir le moindre encouragement de la part de qui que ce soit et c’est cela qui me désole le plus ».
La situation de Khalil nous amène sans nul doute à nous interroger sur la capacité de la Belgique, et plus largement de l’Europe, à donner aux demandeurs d’asile une chance de reconstruire leur vie loin de la violence ravageant leur pays d’origine. Pas plus ici que dans son pays, Khalil n’a pu trouver la paix qu’il recherchait, ni l’occasion de mener une vie ordinaire incluant travail et famille. Son passé de soldat le poursuivant où qu’il aille, Khalil n’aperçoit pas encore la fin du tunnel. Cependant, et tout comme des milliers d’autres êtres humains dans la même situation, il espère être en mesure de reprendre, quelque part dans l’espace et le temps, sa vie en main.
Nous remercions vivement Monsieur Hamou Ait-Ouali d'avoir traduit les propos de Khalil lors de notre rencontre. |
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