Société
Réchauffement climatique en Guinée : A qui la faute ?
4 juin 2021 - par Abdoulaye Bah
L’immigration en provenance de l’Afrique est souvent liée à des problèmes d’ordres politique, économique ou social. Mais on entend moins parler des migrants environnementaux et climatiques. Certes, les pays Africains, dans leur majorité, ont un retard énorme au niveau de leur développement industriel, comparé aux autres continents. Mais le réchauffement climatique se fait de plus en plus ressentir, lié en grande partie à l’exploitation des richesses de ces pays par les multinationales, qui ne respectent pas les règles environnementales. Pour mieux comprendre ce problème, j’ai interviewé Sally Bilaly Sow, journaliste Guinéen, qui s’intéresse beaucoup à la question environnementale. L’exploitation minière est en plein essor dans le pays, qui est désormais l’un des principaux exportateurs de la bauxite dans le monde. Mais ce n’est pas sans conséquences. Les Guinéens subissent des détériorations de leurs droits et de leur environnement, qui les pousse parfois à quitter le pays. Rappelons que les Guinéens font partie des populations qui demandent le plus l’asile en Belgique .
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Sally Bilally Sow, je suis vidéaste et réalisateur mais aussi coordinateur de l’association villageoise 2.0, dont l'objectif est de promouvoir l’éducation aux médias et au numérique, et surtout au développement local, à travers les technologies de l’information et de la communication.
Le réchauffement climatique est-il un sujet d’actualité en Guinée ?
Le réchauffement climatique est un phénomène mondial, il ne faut pas nier cela. Les réalités que nous voyons ici sont tributaires de l’action de l'homme sur la nature. Mais si nous prenons le cas spécifique de la Guinée, il y a vraiment des ressentis concrets. Si l’on se réfère à l’ancien temps, il y avait des cours d’eau qui ne se tarissaient pas, par exemple, mais aujourd’hui, à peine quelque temps après la saison pluvieuse, ils se tarissent extrêmement rapidement. Autre exemple, Il y avait des arbres fruitiers qui existaient dans certains endroits de nos localités, qui ont été rasés sans qu’il n’y ait aucun reboisement.
La population Guinéenne est-elle consciente du phénomène, car beaucoup de citoyens dans le monde le nient. Peut-être parce que les effets ne se font pas ressentir dans certains pays ?
En nombre pas, je n’ai pas de statistiques, mais suite aux échanges que j’ai eu avec des gens, il y a en effet beaucoup de personnes qui n’y croient pas, soit par ignorance ou par manque de conviction. Le danger, c’est qu’il n’y a pas d’action focalisée sur l’éducation environnementale, parce que le programme scolaire est très ancien.
Dans la majorité des pays, les multinationales sont pointées du doigts comme étant les premières responsables. Est-ce que c’est le cas en Guinée ?
Parlons de la région de Boké, qui est pour moi la plus chaude du pays, et le point central du secteur minier en Guinée. Quand vous y allez en saison sèche, c’est désastreux, vous ne pouvez même pas respirer de l’air frais. Il y a une poussière indescriptible qui s’y dégage, et une déforestation massive, à cause des multinationales et de leur exploitation minière. A travers les responsabilités sociales, les multinationales essayent de contribuer un peu au reboisement, mais les dégâts sont plus nombreux. D'ici dix ans, on vivra le pire si on ne fait pas attention et si on s’intéresse seulement à l’aspect économique, en occultant le côté environnemental. Pas seulement Boké, mais de façon globale, tous ces endroits où nous avons des sociétés minières, ce sont des personnes qui n’ont aucune considération pour l’environnement.
Est-ce que c’est un sujet d’actualité au niveau des médias ?
Oui, il y a des médias spécialisés sur la question. Il y a des émissions environnementales, mais pour moi ce n’est pas un problème journalistique en tant que tel, ça doit être un problème citoyen.
Il faut que le citoyen s’approprie le sujet, parce que le plus souvent, quand on prend certains médias, il y a un manque d'indépendance, (je ne dis pas que tous les médias ne sont pas indépendants), mais si toutefois il y a des accointances entre ces médias et les multinationales, ils ne nous diront pas toutes les vérités. Le modèle économique de nos médias en Guinée se repose sur la publicité, et derrière ces multinationales sont des annonceurs.
Moi j’ai réalisé une série vidéo d’une localité (Débélé), ou l’impact était là. Les eaux sont contaminées, l’environnement est détruit, et il y a des femmes qui sont victimes, pas physiquement, mais les terres où elles cultivent sont totalement détruites.
J'estime aujourd’hui, qu’il faut mettre le citoyen au cœur de l’action, il y a une ONG (Action mine) qui abat d’ailleurs un excellent boulot sur la question.
L'Etat a-t-il des mesures pour apporter ce sujet au sein de la population ?
Il y a des ateliers de formation, des campagnes de sensibilisation, financées par des bailleurs de fonds. L’Etat n’a jamais mis son propre argent dedans, à ma connaissance. Si on attend à chaque fois qu’il y ait des projets pour amorcer des campagnes de sensibilisation, derrière il n'y a pas de réelle volonté. Parce qu’on ne peut pas dire qu’avec tout l’argent qui rentre dans les caisses de l’Etat, on ne peut pas lancer des campagnes pour éduquer normalement les citoyens.
Quelles sont, selon vous, les solutions pour que cela change ?
D'abord, il faut une éducation environnementale, pour conscientiser les citoyens sur la question, pour leur faire comprendre les risques si rien n’est fait dans les années à venir.
Il faut surtout que la politique des sociétés minières change, il faut qu’elles s’engagent dans les campagnes de reboisement, qu’elles aient beaucoup plus d’actes que de paroles. Il faut miser surtout sur la nouvelle génération, faire des débats citoyens en leur demandant leur avis, car ils sont plus impactés par les problématiques, qu’un ministre dans son bureau.
Abdoulaye Bah
Avec le soutien de :
[1] Roche constituant le principal minerai permettant la fabrication de l’aluminium
[1] https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Documents/Statistiques/Stat_M_Asile_Fr_2018_02.pdf
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