Société

Cynthia : être expat au Nigeria. Echange avec une jeune afropéenne

24 mars 2017

Cynthia a 28 ans. Née en Belgique de parents congolais, elle s'intéresse à l'histoire de l'Afrique et à la communication digitale. Après ses études, elle est partie vivre une expérience professionnelle sur le sol africain. Elle revient sur ces deux années écoulées au Nigéria : quelles sont les réalités de terrain quand on est née en Europe avec des racines africaines ?

À la fin de ses études, Cynthia participe à une conférence de l’AIESEC en Ethiopie dont le but est de parler des opportunités d’emploi en Afrique. Travailler dans un pays africain, elle en rêve depuis longtemps : évoluer professionnellement dans une autre langue, découvrir un autre monde du travail, se créer sa propre expérience. Cet événement est donc un excellent moyen pour elle de nouer des contacts et d’en apprendre plus sur le marché de l'emploi.

Elle décroche un stage au Nigéria en 2014. Et c’est vers Lagos qu’elle s’envole au lendemain de la remise de son mémoire. La destination n’a pas été choisie au hasard. Cynthia sait que le pays est réputé professionnellement pour son entreprenariat et sa culture du travail de l’excellence. Pendant un an, elle y travaille comme stagiaire International Liaison officer pour une université.

L’expérience lui plait tellement qu’elle entreprend des démarches pour trouver un travail sur place. Si le premier poste a été décroché assez aisément, postuler au Nigéria en tant qu’étrangère n’est pas évident. Il faut pouvoir justifier l’engagement d’un étranger et donc le fait qu’on apporte une plus-value par rapport à un autochtone. La première difficulté pour Cynthia, qui avait l’habitude de passer par des agences intérim en Belgique, est l’absence de celles-ci au Nigéria. Un réseau de connaissances moins étoffé est la deuxième. Heureusement, des amis rencontrés lors de sa première année sur place, n’hésitent pas à l’aider et à la guider dans ses démarches.

Après avoir repéré plusieurs agences de communication, elle envoie une dizaine de cv, avant d’avoir un premier appel. Elle voit celui-ci comme un coup de chance : être contactée aussi vite alors qu’elle est junior expat, c’est une opportunité à saisir ! Après trois entretiens avec eux et neuf mois en Belgique - le temps que les démarches administratives soient effectuées - Cynthia rejoint sa nouvelle équipe.

 

Deux mondes, une personne : comment gérer les différences au travail et au quotidien ?

J’ai souvent entendu autour de moi que j’aurais plus facile à m’intégrer dans des pays africains grâce à ma couleur de peau. En rencontrant Cynthia, j’avais envie de lui demander si son intégration avait réellement été facilitée par sa couleur de peau.

 

« Les trois premiers mois ont été très durs, surtout quand on est habitué à son petit cocon qui est la Belgique »

Pour Cynthia, s’adapter à la ville de Lagos et à son nouveau boulot est passé par différentes étapes : apprendre à traverser la rue avec un flot de voitures continu, à vivre avec les coupures d’électricité, à s’adapter au bruit constant de son quartier, aux transports peu confortables, aux comportements différents qu’elle ressent au début comme agressifs...

Le rapport de ses collègues à ses racines afropéennes ne fut pas facile. Ils avaient des difficultés à la comprendre comme une globalité. À son arrivée, ils s’interrogent sur les motivations d’une Européenne à venir travailler chez eux. Ils craignent qu’elle ne vienne voler leur boulot. Au fur et à mesure, les langues se délient et le fait de partager la même couleur de peau les poussent à oser discuter avec elle, ce qui lui permettra d'être de mieux en mieux intégrée à l’équipe. Mais sans l’être tout à fait non plus.

Une autre incompréhension vient contrebalancer son intégration. Partageant la même couleur de peau, ses collègues s’attendent à ce que Cynthia comprenne les traditions, la culture…Ils ne comprennent pas non plus pourquoi il y a des différences de traitement entre Cynthia et les autres travailleurs. Pourquoi son logement ou les transports sont-ils gérés par l’agence ? Discuté auparavant lorsque l’agence souhaite les engager, ce type d’avantage est mis en place par l’employeur pour compenser le fait que l’employé ne vit pas dans son pays d’origine. C’est une condition que Cynthia doit souvent répéter afin que son employeur n’oublie pas ses engagements et que ses collègues comprennent la situation. En effet, la majorité des personnes sont originaires du Nigéria, mis à part quelques supérieurs indiens. D’après le ressenti de Cynthia, il est plus facile, aux yeux de ses collègues, de comprendre pourquoi des managers ne venant pas du Nigeria aient un traitement différent. Alors qu’elle, en tant que Junior et noire de peau, il leur arrive d’oublier qu’elle n’est pas non plus du pays et qu’elle doit donc faire face aux mêmes situations.

 

Travailler au Nigeria et en Belgique : à qualité de vie différente, environnement professionnel différent

Le quotidien à Lagos peut lui aussi être un véritable challenge. Si le Nigéria est une puissance émergente, les problèmes logistiques n’ont pas totalement disparu. Avant d’arriver au travail, le travailleur a pu faire face à une panne d’électricité, à une coupure d’eau, aux embouteillages… Il en résulte qu’une fois sur son lieu de travail, il prend un moment pour décompresser et se libérer des tensions occasionnées par ses aventures matinales. Le soir, beaucoup de collègues de Cynthia préfèrent faire des heures supplémentaires non rémunérées plutôt que de rester coincés dans les bouchons pendant des heures. La relation par rapport aux heures de travail est différente par rapport à la Belgique où Cynthia constate qu’on est plus attentif aux heures prestées.

Quant à ses tâches proprement dites, Cynthia sent que ses supérieurs lui accordent rapidement leur confiance et la laissent libre.

« Très vite on m’a laissé les mains libres parce que j’étais la première à occuper ce poste de Content management. […] On m’a donné beaucoup de responsabilités, que je n’aurais peut-être pas eues, à ce niveau-là, en Belgique »

Elle accompagne souvent les managers, lors des voyages, et se trouve à la table de discussion lors des rencontres avec les partenaires. Un très bon moyen d’apprendre tout en travaillant. L’apprentissage est d’ailleurs un critère-clé de Cynthia pour juger si un job est de qualité.

« la vie de travail équivaut pour moi à une vie d’apprentissage jusqu’au bout pour pouvoir se sentir épanoui »

Elle a besoin d’apprendre et de pouvoir évoluer, non seulement dans la matière qu’elle a étudiée, mais surtout dans celle qui l’intéresse. Travailler beaucoup, quitte à travailler tard, est la meilleure façon d’apprendre selon elle. Néanmoins, elle accorde également de l’importance au juste équilibre entre le paiement et le boulot. Car si elle est prête à s’engager pleinement dans son travail, la rémunération n’est pas à négliger.

 

Quelles expériences en tirer ?

De retour en Belgique depuis la fin de l’année 2016, Cynthia recherche du travail principalement à Bruxelles dans le domaine de la communication et des médias.

De son expérience sur place, face au choc culturel qu’elle a vécu, elle a décidé de lancer une plateforme interactive. Elle s’est vite rendu compte qu’elle n’était pas la seule qui aurait voulu avoir des informations sur la culture du pays avant d’arriver. AfricanGist a pour but de se préparer correctement pour un voyage en Afrique grâce aux témoignages de ceux qui se sont déjà rendus sur place. Il permet aussi aux Africains qui ont voyagé à l’étranger de témoigner.

Que vous vous apprêtiez à partir sur le continent africain ou que vous ayez des liens avec l’Afrique, n’hésitez pas à faire un tour sur AfricanGist. J’ai ouï dire qu’on cherchait encore des témoignages !

 

Pour aller plus loin :

AfricanGist

Faut-il toujours être blanc pour être un expat ?

Nous vous recommandons l’article du Guardian, ainsi que d’autres médias francophones[1], qui revient sur la création du mot « expat » pour désigner un travailleur immigré qui vient d’un pays occidental.

AIESEC

À l'origine, AIESEC signifiait « Association Internationale des Étudiants en Sciences Économiques et Commerciales ». Depuis lors, l’organisation, membre de l’UNESCO s’est ouverte à tous les cursus et se définit maintenant comme un réseau mondial de jeunes impactant le monde à travers des expériences de développement du leadership.