Société

Hafsa, un soleil à Molenbeek

3 février 2016

© Marie Peltier

Hafsa met toutes ses compétences au service des élèves de l'école des devoirs du Jardin ensoleillé, afin de les préparer pour l'avenir. Ces enfants pourraient en effet rencontrer dans le futur les mêmes difficultés que la jeune femme... Visée par des préjugés et tentée par le repli, Hafsa a ensuite repris confiance en elle et a renoué les liens avec la société multiculturelle bruxelloise. Même l'orage médiatique sur Molenbeek n'a pas éteint l'ardeur de Hafsa !

Tout comme de nombreux Bruxellois, Hafsa J. a été durement atteinte par les amalgames entre terrorisme et islam suite aux attentats de Paris. Bien qu’elle vive à Anderlecht, la médiatisation de Molenbeek, la commune où elle travaille, l’a beaucoup touchée. Elle est heureuse de savoir qu’à travers son portrait, je souhaite montrer un autre visage de Molenbeek, celui d'une jeune adulte de 27 ans, qui, comme de nombreux autres dans la commune, travaille quotidiennement à instruire les plus jeunes, à ouvrir l'esprit des enfants et adolescents à la diversité des origines, des confessions et des cultures.

 

Je ne voulais pas parler de voile islamique mais...

Lorsque l’on parle avec des femmes musulmanes, ou s’il est question d’elles dans les médias,  les discussions ou articles se centrent de trop nombreuses fois autour du foulard islamique, par rapport à l'étendue des thèmes sur lesquels elles pourraient s'exprimer en tant que citoyennes, voilées ou non. Je ne venais donc pas rencontrer Hafsa pour parler de voile islamique... Et pourtant, j'ai découvert que l’expérience de discriminations vécue par Hafsa en raison de son foulard est fondamentale dans son parcours et permet de mieux comprendre son engagement auprès des plus jeunes.

Il y a quelques années, Hafsa se lance avec motivation dans la formation de directrice de maison d'enfants. Sur son lieu de stage, la jeune femme accepte l’interdit du port du voile, édicté par l’établissement. Tout se passe bien pour elle, jusqu’à ce qu’un parent se plaigne de l’avoir vue mettre son foulard à la sortie de l’établissement. Quelle n’est pas la déception de Hafsa : elle est sommée par la direction de remettre son voile au bout de la rue ! Avec beaucoup d’émotion, Hafsa raconte:

« Je n'étais pas d'accord. Je faisais l'effort d'enlever mon voile à l'intérieur.  Et pour moi, porter le voile, ce n'est pas commettre un crime, personne ne me l'impose, c'est un droit. Je me sentais très mal, je me sentais écrasée, et j'ai tout lâché. J'aurais pu chercher un autre stage, mais j'étais dégoûtée. »

On peut comprendre son désarroi, suite au compromis qu’elle avait consenti. En effet, la liberté d’exprimer et de manifester pacifiquement ses convictions est un droit garanti par nos textes de lois fondateurs, tels que la Constitution Belge[1].

Forte de son diplôme en  « aspirante en nursing » elle recherche directement un emploi. Hafsa est alors confrontée à la discrimination à l'embauche. Elle passe avec brio les premières étapes de sélection mais son voile pose problème aux employeurs et elle n'est pas sélectionnée. Elle est confrontée, comme nombre de nos concitoyennes musulmanes, à l’expression d’un racisme latent. En effet, le racisme d’hier, qui amenait à discriminer les personnes sur base de la couleur de peau, s’en prend aujourd’hui également aux personnes en raison de leur culture ou de leur religion. Une expression le désigne comme un « racisme culturel »[2]. Déçue par sa mauvaise expérience en stage, Hafsa est déterminée à ne plus enlever son voile, même ponctuellement, car elle craint qu’on ne lui en demande toujours davantage. 

« On m'accepte comme je suis,  je sais ce que je vaux, je suis quelqu'un de compétent. »

 

Priorités au Savoir, à l’expression et au dialogue

Hafsa décroche finalement un poste au «  Jardin ensoleillé » où elle travaille depuis 7 ans comme animatrice de l’école de devoirs, avec des enfants de 4 à 12 ans. Elle s'y épanouit pleinement, entourée d’une équipe qu’elle apprécie beaucoup. Elle aime la spontanéité des enfants et leur sincérité.

Les enfants qu’elle accompagne sont pour la plupart d’origine arabe ou africaine. L'expérience de discrimination dont Hafsa a été victime a conditionné ses priorités en matière d'encadrement. Premièrement : transmettre le goût d’apprendre et l’amour du Savoir, afin qu’ils aient les meilleures chances dans la vie ! Deuxièmement: l’expression. Elle encourage quotidiennement les enfants à dialoguer et à faire part de leurs difficultés afin de les résoudre. Avec le recul, elle considère qu’elle a commis une erreur en ne dialoguant pas lors de sa malheureuse expérience en stage.

« Si j’avais argumenté, peut être que j’aurais fait changer les choses. J’aurais sûrement été comprise. Donc aujourd’hui j’encourage les enfants à s’exprimer. Quand tu n’es pas d’accord, il faut argumenter, dire pourquoi tu n’es pas d’accord. »

Sa plus grande satisfaction est de voir les enfants progresser. Mais ses efforts ne paient pas toujours en retour, certains enfants refusent son aide ou persistent à faire du chahut. Elle n’abandonne pas : elle cherche toujours une activité qui pourrait révéler leurs potentiels.

 

Sortir de son quotidien : rencontrer des personnes d’autres convictions et cultures 

Depuis quelques années déjà, l’asbl Le Jardin ensoleillé participe à des fêtes multiculturelles au cours desquelles la jeune animatrice apprend beaucoup. En effet, elle n’était pas très enthousiaste au départ : ce genre de fête, ce n’était pas pour elle ! Il lui restait un dégoût de la société suite aux discriminations qu’elle avait vécues, elle craignait de revivre la stigmatisation. Mais petit à petit, elle a rencontré des personnes de diverses religions ou convictions, d’autres cultures. Progressivement, elle s’est remise en question.

«  J’ai ouvert les yeux. Ce n’était pas parce que j’avais vécu une mauvaise expérience que je devais mettre tout le monde dans le même sac.  Il ne faut pas porter de jugement sans connaître les gens. Les gens sont bons, il faut juste dialoguer.  J’essaie aujourd’hui de transmettre ça aux enfants. »

Aussi, les sorties extrascolaires ont pour but de faire connaître le monde aux enfants. Régulièrement, les mercredis, Hafsa et ses collègues emmènent les enfants dans une maison de repos pour personnes âgées, au bowling ou encore à la ludothèque.

 

Faire confiance aux jeunes motivés et compétents, comme Hafsa, et sans condition !

Malgré tout le travail de Hafsa et de ses collègues pour encadrer leurs élèves, cette période durant laquelle Molenbeek a été sous les feux de l’actualité a été dure pour tout le monde. Les enfants ont été déconcentrés. Mais au cœur de la tempête, Hafsa a tenu bon, elle a tenu le cap de l’apprentissage pour ses élèves.

 « Nous avons fait une minute de silence pour marquer notre respect envers les victimes. Les enfants étaient déboussolés, on leur avait dit que les terroristes criaient « Allahu akbar ». Or, dans notre religion, nous le disons très souvent ! Nous avons donc beaucoup discuté avec eux, mais il fallait également leur rappeler de se concentrer sur leur travail scolaire. »

Moi qui ne voulais pas parler de voile islamique, son histoire m’a ramenée à la réalité de nombreuses jeunes adultes de confession musulmane qui font face à la discrimination, alors que leur projet est de s’épanouir dans leur travail et de donner le meilleur d’elles-mêmes, notamment à l’éducation des plus jeunes. Pouvoirs politiques, associations, citoyens, tout le monde semble s’interroger sur les moyens à accorder pour encadrer nos jeunes, à Molenbeek et ailleurs. La première piste que je leur suggère, est d’accorder leur confiance aux jeunes motivés et compétents, peu importe leur apparence !

 


[1].Pour plus d’information, Centre Interfédéral pour l’Egalité des Chances :  http://signes.diversite.be/note-signes-convictionels.pdf

[2] Le racisme culturel désigne la création d’une hiérarchie entre culture supérieure et culture inférieure , laquelle justifierait une discrimination envers un groupe de culture prétendument inférieure. http://www.diversite.be/quest-ce-que-le-racisme