Société

"Ma Andi Mangoul" - Quand la réalité inspire la fiction

8 janvier 2021 - par Gloria Mukolo

© L'affiche de la pièce "Ma Andi Mangoul", avec l'autorisation de Monsieur Salim Haouach

Selon les derniers chiffres d'Unia, le service public qui lutte contre les discriminations, 81 dossiers mettant en cause les forces de l'ordre et la justice ont été ouverts l'année dernière. C'est 9 de plus que l'année d'avant. Sur base de recherches, d’archives, d’entretiens de récits et de souvenirs, la pièce Ma Andi Mangoul met en débat la police d’hier et d’aujourd’hui. Forces de l’ordre et minorités, coexistence impossible ? Comment vivre ensemble ? Et surtout, avec quels outils ?

 

Ma Andi Mangoul. Je ne dirai rien. Ik heb niets te zeggen. Tout ça, sur un fond jaune rappelant le soleil ardent du Maroc. Dans le même paysage : un minaret, deux palmiers, trois dromadaires et un homme assis sur l’un d’entre eux. On ne voit pas son visage. On ne sait pas où il va, ni d’où il vient. L’ensemble ferait rêver n’importe qui s’il n’y avait pas au bas de l’affiche, cette voiture de police blanche à la bande rouge. Que fait-elle là ? Pourquoi semble-t-elle à la fois rentrer et sortir du décor ? Quel lien a-t-elle avec le Maroc ?

 

La Belgique des années 80

Pour bien comprendre ce qui se joue sur scène, il faut remonter le temps. Remonter le temps d’au moins 40 ans : Les années 1980 en Belgique, ce sont les gouvernements Martens successifs, le drame du Heysel, la création d’Ecolo mais aussi les attaques sanglantes des Tueurs du Brabant. Des tueurs qui ont plongé les belges dans une peur profonde. Par ailleurs, depuis les années 60, le recrutement de travailleurs marocains ainsi que l’arrivée des premières familles fait grimper le nombre de ressortissants marocains dans le pays. D’ailleurs, en 2014, à l’issue du 50e anniversaire de l’immigration marocaine en Belgique, le premier ministre belge Elio Di Rupo s’était exprimé sur le sujet :

"[…] Des milliers de travailleurs venus du Maroc sont venus mettre leurs bras et leurs talents au service de nos entreprises. Présents sur tous les chantiers, dans les mines et les usines, ils ont contribué à bâtir notre richesse actuelle. Nous leur devons une partie de notre prospérité ! Nos immeubles, nos hôpitaux, nos écoles, nos aéroports, notre métro, nos voies ferrées, nos routes, tout cela s’est construit avec une importante main-d’œuvre marocaine. Vous pouvez être fiers d’eux. Nous pouvons être fiers d’eux ! Au nom de la Belgique et du Gouvernement belge, je tiens à leur exprimer la reconnaissance de notre pays et les remercier du fond du cœur. […] Être là, devant vous, en tant que premier Premier ministre issu de l’immigration, est pour moi un moment très symbolique. Je connais l’ampleur des difficultés que certains d’entre vous rencontrent dans la vie de tous les jours. Je sais que les obstacles restent malheureusement trop nombreux. Des Belges issus de l’immigration subissent encore trop souvent des discriminations1. […]"

 

Des gendarmes belges qui parlent arabe

Si communiquer permet d'établir des liens, la diversité des langues peut aussi créer des barrières. Par exemple, lorsque la police s’adresse à des individus (suspects, victimes ou témoins), il est important que les deux parties comprennent chaque élément de la conversation. La réussite de ce processus va dépendre de la capacité de l’enquêteur à communiquer avec le sujet et d’en interpréter les réponses…

Le vivre ensemble nécessite un minimum de coordination et d’échange et donc, un minimum de communication entre les membres d’un même groupe. Le philosophe français René Descartes voyait même dans le langage la seule façon de sortir de l’isolement de la conscience de soi : "Je sais que je ne suis pas le seul être pensant au monde parce que les hommes, contrairement aux animaux, parlent comme moi pour exprimer leurs pensées." En transmettant une langue, c’est tout un héritage culturel que l’on partage. C’est pouvoir pénétrer les subtilités de telle ou telle culture.

C’est dans cet objectif qu’une expérience inédite a vu le jour à la fin des années 80 : celle de l’apprentissage de la langue arabe à des gendarmes belges. Pour pouvoir se comprendre, tisser des liens et répondre à d’éventuels problèmes de division.

Deux étapes importantes avaient été établies pour les gendarmes : la première consistait à donner des cours aux quinze participants au sein de l’école royale de la gendarmerie bruxelloise et la seconde allait quant à elle, permettre aux gendarmes de se perfectionner directement sur le terrain au Maroc pour une durée de trois mois (stage). Ahmed Haouach était le professeur d’arabe au moment de cette expérience.

 

De père en fils

2020. Bien des années ont passé depuis cette histoire… C’est sans doute dans un moment de nostalgie, autour d’un repas de famille, qu’Ahmed Haouach se souvient et raconte à voix haute cette époque. Autour de la table, Salim écoute le récit de son père avec intérêt : "S’il n’en avait pas parlé, je ne l’aurais jamais su. Il faut savoir que le théâtre est pour moi une manière de me rapprocher de certains sujets et certaines personnes afin de nouer des liens. En écoutant mon père, j’ai tout de suite pensé à la scène : pourquoi ne pas me rapprocher de lui à travers ce projet ?"

Auteur, comédien, metteur en scène et chroniqueur, c’est donc naturellement que Salim Haouach décide de s’emparer de cette partie de l’histoire et de l’écrire aux côtés de son père. Un projet aux enjeux encore très actuels puisqu’aujourd’hui encore, minorités et forces de l’ordre ne parlent pas toujours le même langage et que, les actions posées par ces dernières, posent parfois questions (cf. Mort de Mawda, Adil ou encore Mehdi sur notre territoire).

Exploré dans une forme qui mélange à la fois le théâtre documentaire, l’humour et quelques parties contées, la pièce Ma Andi Mangoul interroge plus largement notre propre rôle en tant que citoyens ainsi que celui de nos institutions. Une histoire qui pourrait, in fine, en inspirer plus d’un face aux conflits modernes.

Gloria Mukolo, volontaire dans l'équipe de rédaction de Magma 

 

La représentation de cette pièce de théâtre est normalement programmée en janvier 2021 à Bozar à Bruxelles.


1 – Aujourd’hui en Belgique, trois lois fédérales constituent la législation antidiscrimination : la loi dite "Genre", la loi dite "Antiracisme" et la loi dite "Antidiscrimination". En théorie, ces textes regroupent les critères sur base desquels la discrimination est interdite ou punissable.