Nord/Sud
Humanité en centre fermé ?
9 janvier 2020 - par Gloria Mukolo
© Collectif #SemiraOnOubliePas - Centre 127 bis, Steenokkerzeel
Dans son préambule, la Convention européenne des droits de l’Homme reconnait que?: "Tous les êtres humains possèdent une "dignité inhérente" et qu’ils naissent libres et égaux en droits et en dignité". Depuis deux décennies, la Belgique enferme des sans-papiers dans des centres aux allures de prison. Quid des conditions de vie des personnes détenues??
"Si je devais être complètement cynique, je dirais que rien n’a réellement changé. En fin de compte, ils vont être expulsés." Ces mots sont ceux d’Andrew Crosby, chercheur en sociologie (ULB). Vottem, Merksplas et le 127 bis n’ont presque plus de secret pour lui puisqu’il y a passé respectivement 3 mois et demi : "Un centre fermé, c’est un lieu d’enfermement. Mais officiellement, on ne peut pas appeler ça une prison. J’ai eu envie de voir ce qui s’y passait concrètement au quotidien. Pour ma thèse, j’ai précisément étudié le fonctionnement des centres fermés ainsi que l’évolution des politiques d’enfermement."
Aujourd’hui, les mesures concrètes liées à l’accueil, au séjour, à l’établissement et l’éloignement des migrants ne sont pas sous la tutelle du Ministère de la Justice mais bien confiées à l’Office des Etrangers, une instance administrative : "Pour l’accès au terrain, on a négocié avec l’Office des Etrangers via le Centre Fédéral Migrations, Myria. Il fallait que j’explique de manière claire que je m’intéressais à l’organisation au quotidien des centres fermés. Finalement, j’avais non seulement les clefs des différents lieux mais aussi, un bureau où je pouvais y déposer mes affaires".
Une gestion humanisée…
La communication autour des centres fermés reste très informelle. Seuls quelques membres d’organismes bien définis sont accrédités à y rentrer. Ce qui s’y passe reste donc flou, pour ne pas dire secret.
En 1996, l’ancien ministre de l’intérieur Louis Tobback déclarait : "Ces réfugiés, ils viennent s’installer ici comme des mouettes sur une décharge publique parce que c’est plus facile que de pêcher chez soi ou de travailler la terre." Deux ans plus tard, Semira Adamu, une jeune fille nigériane de 20 ans, meurt étouffée par des gendarmes au moment de son rapatriement. Suite à ce drame, une mobilisation massive s’est mise en place provoquant une remise en question de l’enfermement et de l’expulsion (politique migratoire) : "C’est à la fin des années 1990 que le "processus d’humanisation" est mis en place. Dans le discours officiel, l’humanisation des centres fermés consiste à améliorer les conditions d’enfermement. Concrètement, on va essayer de changer l’organisation quotidienne des centres fermés afin que l’enfermement soit moins rude pour les détenus en tenant par exemple compte des aspects psychologiques ou sociaux."
Dans les faits, c’est l’organisation des centres fermés qui est repensée. L’idée étant que si les conditions de travail sont respectées, alors la manière dont les détenus seront traités sera meilleure.
… des droits et libertés inchangés
On remarque donc que l’amélioration des conditions d’enfermement est avant tout un instrument plus qu’il n’est un but. Répondre aux questions suivantes semble primordiale pour la gestion des centres : comment gérer les tensions et comment maintenir l’ordre ?
« Dans certains centres, l’infrastructure conduisait à supprimer toute autonomie aux détenus. Les directions des centres appliquant un régime de groupe strict portant atteinte aux droits et aux libertés des individus. Par exemple à Vottem et Merksplas, le régime cellulaire individuel a été appliqué pendant mon immersion. Le détenu y est enfermé toute la journée ou presque… Comme dans une prison. Ce n’est pas tant le bien-être des détenus qui est privilégié mais la gestion de la population pour faciliter le travail du personnel. »
Si les droits des détenus ne s’améliorent pas, c’est parce que les lois ne changent pas. Prenons l’exemple de la difficulté de porter plainte contre un membre du personnel qui aurait commis des abus : "Il y a eu la mise en place d’une commission des plaintes. Mais très vite, elle n’a pas servi à grand-chose puisque soit la majorité des cas étaient irrecevables, soit entretemps le détenu avait déjà quitté le centre."
Si l’ennui reste un sentiment fort présent au sein des centres, les personnes détenues ne sont pas totalement laissées à leur triste sort : "En fonction de l’organisation interne, des moments de distraction comme l’utilisation d’un GSM (sans caméra), d’internet ou encore l’accès à des jeux de société sont possibles."
Une confiance presque mutuelle
Dans ces conditions, la méfiance est bien réelle dans les centres fermés. Aussi bien au sein du personnel que des détenus : "J’étais nouveau pour tout le monde. J’ai effectué des entretiens avec des membres du personnel mais aussi des détenus pour installer un climat de confiance. Mais parfois, cela n’était simplement pas possible. En voulant enquêter sur certains points, tu les absorbes. Même si j’avais une place privilégiée, je pense aujourd’hui qu’une seule semaine peut déjà suffire à nous marquer."
Une humanité impossible ?
Pas tout à fait. Pour Andrew Crosby, l’une des solutions serait de dire non à cet aspect sécuritaire constamment mis en avant : "Il ne faut pas tomber dans ce piège qui est d’humaniser les centres fermés. Parce que le problème réel, c’est l’enfermement en lui-même." En se focalisant principalement sur l’aspect sécuritaire, on remarque non seulement de la discrimination dans le choix des réfugiés, mais aussi, une négligence dans les droits octroyés aux détenus.
Gloria Mukolo
Journaliste citoyenne, équipe de rédaction bénévole de Magma asbl, Etterbeek
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