Société
Bolivie : piégée entre l’économie et l’écologie
21 mai 2021 - par Guillaume Bartholomé
© Julie Laurent
Pendant longtemps, la Bolivie a vu ses ressources pillées par l’extérieur. L’absence de projets politico-économiques pour le pays a fini par pousser certains habitants à tout quitter pour rejoindre l’Europe. Daniel est l’un d’eux, et laisse tomber une carrière d’ingénieur agronome pour devenir musicien sur le vieux continent. Près de 30 ans après son départ, l’avenir bolivien est-il plus sûr ? L’équipe de Magma a contacté deux de ses neveux et nièces restés au pays, Veronica et Carlos, pour en savoir plus.
Quand Daniel quitte la Bolivie, nous sommes en 1993. Les dictatures militaires se sont succédées les unes après les autres pour aboutir à une série de présidents démocratiquement élus, mais sans réelle impulsion à donner au pays, dont les ressources naturelles abondantes ont attiré un grand nombre d’entreprises étrangères privées.
Etudiant en agronomie, il est dans l’impossibilité de finir ses études. Pour ce faire, il lui faudrait réaliser des stages dans une entreprise loin de chez lui en laissant son père travailler seul. Les coûts sont trop importants et le marché de l’emploi n’offre pas beaucoup d’opportunités. Cependant, Daniel est aussi musicien. Il fait alors le pari fou de partir en Europe avec un groupe, et emprunte de l’argent à un ami pour quitter son pays. Après quelque temps passé sur place à vivre de concerts dans la rue, dans des restaurants et pour divers événements, il comprend que le futur est plus lumineux en Belgique qu’en Bolivie, et choisit de s’y installer.
Made in Bolivia
Il garde malgré tout un œil sur sa terre natale que sa famille n’a pas quittée. Parmi ses craintes figure la gestion des ressources du pays. S’il en regorge, il ne dispose toujours pas d’un secteur industriel fort et importe donc énormément de marchandises. Ce n’est que récemment, avec l’arrivée d’Evo Morales[1], qu’il a été décidé de renationaliser les sources de matières premières du pays et de commencer à fabriquer des produits « made in Bolivia » pour gagner en indépendance.
Veronica, médecin et nièce de Daniel, s’inquiète pour l’avenir. Cette exploitation des ressources nationales, en plus d’être un modèle voué à s’essouffler, ne crée pas de meilleures perspectives d’emploi pour le pays. « Ce modèle est très similaire à celui du propriétaire de la poule aux œufs d’or. Nous ne prenons pas soin de notre poule qui va, un jour, cesser de produire », confie-t-elle.
De nombreux chercheurs décrivent la Bolivie comme une économie extractiviste. Cela signifie qu’elle base sa croissance économique sur l’extraction de ressources naturelles pour les revendre à d’autres pays. Cela implique, d’une part, que le pays dépend des acheteurs et de l’importance des ressources qu’il vend. D’autre part, l’extraction massive de ressources naturelles appauvrit la terre et n’est donc pas durable[2].
Carlos, diplômé en économie et frère de Veronica, rejoint cette analyse : « La Bolivie est pleine de ressources : minerais, gaz, et métaux rares. Malheureusement, nous continuons de nous reposer sur ce modèle extractiviste qui n’a pas changé depuis des décennies. Des promesses d’industrialisation ont été faites mais n’ont jamais été tenues ». En cause, les graves lacunes du système éducatif dans les sciences appliquées, lesquelles permettraient à l’Etat de développer des technologies afin qu’il utilise lui-même les ressources naturelles que le monde entier lui achète. « Pour moi, tout se rapporte à ce manque d’investissement dans l’éducation. Un pays éduqué progressera, ressources naturelles ou pas. Un pays ignorant, même rempli d’or, sera toujours pauvre dans un monde qui dévore les matières premières comme les nôtres. »
Ecologie et hypocrisie
Au-delà des impacts économiques, il y a les conséquences environnementales. L’activité minière contamine de nombreuses rivières, et l’écosystème souffre de l’extraction des richesses du sol. Carlos est pragmatique : « Le problème, c’est que si nous ne faisons pas ça, nous n’aurons littéralement rien à manger. »
Dûs à la faiblesse technologique et scientifique du pays, les coûts engendrés pour limiter la pollution sont trop importants. La communauté internationale réclame, pourtant, que des initiatives soient mises en place en ce sens[3].
« Pour être honnête, nous avons l’impression, en Amérique du Sud, que l’attitude des pays développés est hypocrite. Ces mêmes Etats qui doivent leur croissance à la révolution industrielle et à l’achat massif de matières premières que nous avons fournies nous demandent maintenant de prendre soin de la planète. » Pour Carlos, la clé serait un transfert gratuit des technologies européennes et américaines en matière d’écologie, ou que des chercheurs viennent aider des professionnels autochtones pour mettre en place des programmes d’étude et de recherche efficaces. Mais il ne se fait pas d’illusion sur cette possibilité.
Si Veronica parle aussi d’hypocrisie, il s’agit de celle des politiciens locaux. Les discours politiques font régulièrement référence à la « Pacha mama » [la Terre mère, ndlr.] et à d’autres croyances ancestrales écologiques. Veronica affirme pourtant qu’aucune loi n’est mise en place pour prendre soin des ressources et des terres boliviennes. Elle déplore aussi le manque de sensibilisation de la population. Le sujet n’est que trop rarement amené dans le débat public. Daniel confirme : « Le Bolivien vit le présent, pas le futur ».
Quitter la Bolivie
Face à ces différentes difficultés, la tentation de tenter sa chance ailleurs est grande. D’après Veronica, beaucoup de professionnels de la santé s’expatrient en Argentine car les possibilités pour exercer la profession médicale sont plus nombreuses. Cela signifierait cependant se séparer du noyau familial, un facteur qui retient fortement Veronica.
« Nous sommes un peuple travailleur par essence », dit Carlos. « Grâce à cette mentalité, un grand nombre de Boliviens ont très bien réussi leur vie à l’étranger. En Bolivie, on ne peut pas développer une carrière car tout est lié à la politique. Veronica est médecin et elle n’arrive pas à trouver un poste stable car elle n’est pas affiliée à un parti. Mon frère est ingénieur mais comment peut-il trouver du travail si on n’accorde pas d’intérêt au développement technologique ? Nous aimons notre pays, mais cette influence des partis politiques couplée au manque de développement de certains secteurs font que partir à l’étranger est une pensée qui ne nous quitte jamais vraiment. » Si lui ne quitte pas sa terre natale, peut-être que sa fille le fera. Carlos est déterminé à lui donner les ressources pour qu’elle puisse faire ce choix sereinement.
Veronica nourrit également de sérieux doutes quant à un avenir professionnel stable dans sa patrie. « Nous avons besoin d’exercer notre profession pour survivre, bien sûr, mais aussi parce que nous y avons investi du temps. Mais travailler dignement n’est pas possible en Bolivie… Car une carte de parti vaut plus qu’un diplôme ».
Guillaume Bartholomé
Avec le soutien de :
[1] Président de la République de Bolivie de 2006 à 2019.
[2] Guillaume Hébert & Simon Tremblay-Pépin, « Qu’est-ce que l’extractivisme ? », IRIS – Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 2013, https://iris-recherche.qc.ca/blogue/quest-ce-que-lextractivisme
[3] Moïse Tsayem Demaze, « Les conventions internationales sur l'environnement : état des ratifications et des engagements des pays développés et des pays en développement », L'Information géographique, vol. 73, no. 3, 2009, pp. 84-99.
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