Nord/Sud

Ouday : « Je suis déçu de la situation en Belgique. Je ne veux surtout pas rester ici »

20 novembre 2015

© Nastassja Rankovic

Ouday, 27 ans, est arrivé en Belgique pour présenter sa demande d'asile après un long chemin d'exil depuis l'Irak. Ce jeune migrant revient sur son éprouvant voyage et nous livre ses premières impressions, quelques jours après son arrivée. Très vite, certaines de ses illusions se sont envolées.

 

Début septembre, il décide de quitter Nassiriya, sa ville natale, dans le sud du pays, pour fuir le danger et goûter à la liberté. Une valise à la main, quelques euros en poche, Ouday se lance seul sur la route, laissant ses proches derrière lui. Au moment de prendre place dans la barque en bois lui permettant de rejoindre la Grèce depuis la Turquie, il est contraint d’abandonner ses affaires, pour ne pas surcharger l'embarcation.

"Nous avons bouché les trous des barques avec de la terre et du ciment, mais au milieu de la mer, cela se désintègre facilement. Une des barques n’a pas résisté. J’ai assisté à la noyade d’une famille et je n’ai absolument rien pu faire", raconte-t-il, visiblement toujours ému. 

Après cette traversée qui lui laisse un souvenir douloureux, Ouday poursuit sa route, "épuisé et la peur constante au ventre". Il alterne déplacements en avion, en train et à pied et, après avoir traversé 9 pays en 25 jours, son voyage prend fin dans la capitale belge. Mais ses espoirs aussi. "Je suis déçu de la situation en Belgique. Je ne veux surtout pas rester ici", nous confie-t-il. 

Cinq jours après son arrivée, le jeune homme envisage déjà de retourner en Irak. Au moment de notre rencontre, il n'a pas encore pu se rendre à l’Office des étrangers pour s’enregistrer comme demandeur d’asile et l’attente lui paraît longue. En outre, il n'a pas le droit de travailler et se voit donc privé de moyens financiers.

"J’ai besoin de m’habiller, de me déplacer, et je me retrouve ici sans argent. Dans quelques jours, je vais devoir faire la manche. Je ne peux pas avancer comme ça", déplore-t-il.

 

Sentiment d’enfermement

Pourtant, la décision de quitter l’Irak n’a pas été prise à la hâte. Ouday réfléchissait à son voyage depuis trois mois et en discutait avec ses amis, qui, comme lui, souhaitaient rejoindre notre pays. "Chez nous, on voit la Belgique comme un pays libre, démocratique et accueillant", raconte-t-il. Cet ancien milicien chiite affirme être recherché par les autorités pour avoir tiré involontairement sur une femme lors d’une attaque.

"Je ne me sens pas en sécurité dans un pays plongé dans la terreur où il y a des morts chaque jour", lance-t-il, en ajoutant que "l’injustice est totalement présente et les droits de plus en plus absents".

Passant sa main sur sa joue, le jeune homme se plaint de douleurs aux dents et attend impatiemment d’obtenir des soins. Mais ses souffrances ne s’arrêtent pas là: Ouday affirme avoir été maltraité pendant son enfance par les soldats de Sadam Hussein, le dictateur irakien renversé en 2003. Surmontées depuis de longues années, ses blessures physiques ont ressurgi et nécessitent aujourd’hui une opération.

"Je suis passé par tous ces pays européens, qui sont loin d’être le paradis que je pensais. Je suis venu pour me soigner et trouver la liberté mais j’ai plutôt le sentiment d’être dans une prison et je n’ai toujours pas pu obtenir de rendez-vous avec un médecin. J’ai directement contacté mes proches en Irak pour leur dire de rester là-bas et de ne surtout pas venir ici", assure-t-il.

 

Quel avenir ?

Si la déception d’Ouday porte principalement sur le système politique et les mesures du gouvernement belge, il répète plusieurs fois que les citoyens belges sont "formidables". C’est avec beaucoup d’émotion qu’il nous fait part de sa rencontre avec une Belge qui l’a hébergé pendant trois nuits.

"Cette dame mérite tout le bonheur du monde, je lui dois tout mon respect. Je pourrais donner ma vie pour elle", glisse-t-il.

 

Malgré les risques et l'instabilité qui règnent en Irak, Ouday semble être tellement déçu du pays dont il rêvait depuis des mois qu’il affirme vouloir le quitter pour retrouver les siens. Interrogé sur ses projets concrets pour les jours à venir, il reste toutefois vague. Entre un retour vers l’Irak et l’attente de son rendez-vous pour s’enregistrer comme demandeur d’asile, la suite des événements ne semble pas claire pour lui. A-t-il réellement perdu tout espoir de s’installer en Belgique ? Ou exprime-t-il plutôt sa colère ? Difficile de le savoir, mais cela reflète, comme tant d’autres témoignages, la complexité de la situation en Belgique et partout en Europe, avec un nombre important d’aspirants réfugiés frappant à nos portes, l’Office des étrangers débordé et les places d’accueil qui restent insuffisantes. 

 

 

Nous remercions vivement Monsieur Hamou Ait-Ouali d'avoir traduit les propos d'Ouday lors de notre rencontre.