Société

Luttes écologiques et antiracistes : deux âmes sœurs en voie de retrouvailles ?

17 mai 2021 - par Japhette

Bernard Duterme – coordinateur du livre collectif « L’urgence écologique vue du Sud » de la collection Alternatives Sud (CETRI, Centre tricontinental) – a modéré ce 25 février une table ronde virtuelle traitant de l’urgence écologique : l’affaire du Nord ou du Sud ?

 

 

  Malcom Ferdinand, Ingénieur en environnement et docteur en philosophie politique

Selon le chercheur caribéen, l’écologie ne peut être que décoloniale. Il confiera malheureusement que beaucoup d’activistes préfèrent détourner le regard des implications de justice sociale. Commençons par ouvrir le champ des possibles depuis les perspectives que l’auteur d’Une écologie décoloniale appréhende.

"Au commencement était l’exclusion et cette exclusion était verte".

L’environnementalisme peut être défini comme une approche de l’écologie se focalisant sur une nature synonyme d’objet externe aux affaires humaines. La généalogie d’une telle posture repose sur l’écartement de thèmes structurant les sociétés : enjeux sociaux de genre, de race, etc. On a donc effacé un ensemble de questions dont les réponses sont les façons de recomposer un monde juste.

Des voix provenant notamment du Sud ont été tues. Les textes fondamentaux de cette philosophie gravitent d’ailleurs autour de deux figures occidentales : Jean-Jacques Rousseau avec « Les rêveries du promeneur solitaire » en Europe et Henri David Thoreau avec « La vie dans les bois » du côté étasunien. La pensée environnementale s’érige donc depuis une époque (post-)esclavagiste/coloniale, enracinée dans l’expérience de deux hommes blancs, adoptant un comportement asocial envers des espaces naturels prétendument vierges de toute humanité.

« L’environnementalisme en tant que tel pose problème : et là, ce n’est pas l’environnementalisme du Nord ou du Sud mais quel qu’il soit ! »

Peu importe sa géographie, l’héritage reste le même : une conception de l’écologie où certaines interrogations disparaissent. Edouard Glissant[1] caractérisait l’Occident non pas de lieu mais plutôt de vaste projet politique. Ainsi, des gouvernements ou associations du Sud peuvent très bien en être parties prenantes cfr L’invention du colonialisme vert de Guillaume Blanc[2].

L’opposition Nord-Sud présentée sans ambiguïté camoufle en fait l’histoire de la constitution de ces deux pôles dans la fabrique de la modernité, une manière d’habiter la Terre en instaurant des disparités entre les peuples. De l’Australie au Canada, en passant par l’Afrique du Sud et la France, sans oublier la Belgique: qui bénéficie d’un droit de parole, quels savoirs sont considérés comme science ? La fracture coloniale s’ajoute à la hiérarchie des classes.

On ne peut pas se contenter d’examiner le manque de diversité dans la représentation des initiatives climatiques, sans s’attarder sur les alliances décisives qu’il y eut entre environnementalisme et impérialisme[3] voire eugénisme[4]. Des rassemblements tant académiques que citoyens ayant pour objectif de rééquilibrer le monde dans sa globalité rejettent, volontairement ou non, les théories de toute une partie de notre espèce. Ce biais raciste fut pointé dès les années 60 (cfr Murray Bookchin[5]) et pourtant l’environnementalisme occidentalo-centré perdure en toute quiétude. Nous ne pouvons pas en dire autant de courants tels que les études décoloniales, intersectionnelles ou du genre dont la légitimité est allègrement remise en cause dans le débat public actuel, en France par exemple.

Plus qu’une alternative, l’écologie sera décoloniale ou ne sera pas.

Les écologies décoloniales tendent vers la proposition d’autres sources de conceptualisation du couple Terre & Monde. Cette tâche nécessite la valorisation de la compréhension de l’Autre dès l’élaboration des angles d’attaque : reconnaissance du rôle pivot du colonialisme.

Si certaines institutions s’auto-proclament « décolonisées » et maintiennent ensuite leur centralité, elles continueront d’occulter toute pluralité sous couvert d’une introspection achevée. La marginalisation mutera en un rapport au mieux humanitaire, au pire discriminant.

 

 

Vijay Kolinjivadi, Economiste et chercheur postdoctoral à l’institut de politique du développement de l’université d’Anvers

« Le pacte vert normalise les relations de pouvoir asymétriques en favorisant des points de vue déjà hégémoniques[6]. »

En décembre 2019, l’UE s’est positionnée cheffe de file des actions mondiales pour le climat en publiant le Pacte Vert (PV): c’est le seul engagement juridiquement contraignant proposant de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Un trillion d’euros a été débloqué. Dans le même temps, l’UE a soutenu la construction d’une conduite de gaz de plusieurs milliards d’euros pour les transports à partir d’Israël.

L’auteur de « Pourquoi le Green New Deal doit être décolonial ? » estime que le document est axé sur le dogme de l’économie verte selon lequel la croissance pourrait être découplée de la production de nouveaux matériaux. Cette thèse n’a cependant pas été prouvée pour l’instant…

Le schéma de plantation utilisé pour le coton ou le sucre a impliqué la maltraitance de peuples entiers associée à de nombreuses destructions (déforestation, fuite des sols etc). Ce modèle n’a pas radicalement changé depuis l’abolition de l’esclavage. Il se raffine même par le biais des conditions d’accès aux aides internationales : extraction de matières premières en dépossédant les paysans de leur souveraineté non seulement territoriale et alimentaire, mais aussi culturelle. Les luttes d’émancipation des communautés autochtones[7] restent ignorées alors qu’elles sont avant-gardistes dans l’intellectualisation de la transition.

Capitalisme : mot patriarche de tous les maux ?

La montée du nationalisme et des mouvements d’extrême droite au Brésil, en Inde et Turquie est directement liée au besoin de stimuler leurs industries respectives. La quête de cobalt et lithium en Bolivie, coltan au Congo, terrains agricoles bon marché en Ethiopie s’inscrit dans la stratégie de concurrence des ressources élaborée par les pays du Nord après la 2nde guerre mondiale.

Le PV doit aussi inclure les régions du Sud et ne méritera son présupposé caractère « innovant » qu’en s’engageant à une régression de la surconsommation et une redistribution des richesses. Si les politiques d’austérité encadrées par les Etats et le marché consolident le contrat social responsable de cet effondrement, les mobilisations réactionnelles imposeront quant à elles la construction d’une démocratie délibérative basée sur le consentement mutuel.

Adélaïde Charlier, Etudiante et cofondatrice de Youth for Climate en Belgique

« Le paradoxe que je vois, c’est qu’on a commencé à parler d’une levée des jeunes pour le climat quand les jeunes européens se sont levés. »

Le mouvement belge auquel l’interlocutrice participe a récemment dévié l’attention médiatique vers les MAPA (Most Affected People and Areas)[8]. Actuellement, des collectifs basés dans l’hémisphère jumeau se mobilisent contre une très imposante banque anglaise soutenant l’investissement dans les énergies fossiles dont l’Occident émet la plupart des déchets (CO2).

Il faut prendre conscience que le changement doit être systémique : une approche strictement basée sur l’efficacité énergétique n’est pas assez ambitieuse et l’échéance nullité GES pour 2050 méprise quiconque subit déjà de plein fouet la déchéance de nos fonctionnements.

 

 

 

Japhette

 

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[1] Poète, romancier et essayiste martiniquais

[3] Volonté, stratégie ou parfois même doctrine politique de conquête d’un Etat ou d’une nation, visant la formation d’un empire ou la domination politique, économique, culturelle d’autres nations, Etats ou groupes. Source : Monde Diplomatique

 

[4] l’ensemble des méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus d'une population en se basant sur leur patrimoine génétique et à éliminer les individus n'entrant pas dans un cadre de sélection prédéfini. Source : Wikipédia

[5] Militant américain, théoricien de l’écologie sociale

[6] Domination absolue

[7] Peuples descendants de ceux étant présents sur un territoire avant sa colonisation, occupation ou conquête, et étant devenus minoritaires suite à ces phénomènes.

[8] Traduction: personnes et régions les plus touchées