Nord/Sud
2 mois en centre fermé : il en est sorti et il nous raconte
12 décembre 2019 - par Lucie Sevestre
© Stéphanie Bošnjak
En octobre, Lucie a rencontré un homme sans-papiers. Originaire du Sénégal et âgé d’une quarantaine d’années, ce monsieur lui a raconté sa détention dans un centre fermé.
Pour commencer mon interview avec vous, je voudrais savoir comment vous avez vécu votre détention en centre fermé. A quoi votre chambre ressemblait-elle là-bas ?
C'est le cachot ! Toute la journée tu restes là, sans bouger, tu bouges juste de quelques centimètres et puis c’est tout. La chambre est très petite. On est parfois 1, 2, 3, 4 ou 6 personnes dans la même chambre. Pour la télé, tu as la télécommande, mais ce sont les gens qui sont là-bas qui dirigent, par exemple à partir de minuit ça se coupe. On ne peut pas mettre un dessin au mur, ni même une photo.
Est-ce que les horaires étaient fixes ?
Oui, à 8h c’est le petit-déjeuner, à 12h, c’est le déjeuner et à 16h c’est le dîner. Il faut que tu te présentes à ces trois horaires ! Parce qu’on te note et si tu n’es pas là, au bout de trois absences tu vas en cellule d’isolement, c’est la dictature quoi !
Que mangiez-vous ?
Au début je n’ai pas mangé pendant une semaine, j’avais trop peur qu’on ait mis un médicament dans ma nourriture pour que je dorme. Après j’ai mangé et ce n’était vraiment pas bon, on ne sait pas d’où vient la nourriture, on nous demande juste si on a des allergies ou si on mange halal mais on ne nous dit rien d’autre.
Aux niveaux sanitaire et douche, comment ça se passe ?
C’étaient des douches communes, et les toilettes n’étaient pas très loin. Les cabines de douche ont des parois qui ne montent et ne descendent pas jusqu’au bout. A minuit, ils ferment tout sauf les toilettes, car il y a des gens qui tentent de se suicider dans la salle de douche.
Est-ce que vous aviez accès à des activités ? Comme le sport, le dessin, la lecture ou autres ?
Oui, parfois il y a quelqu’un et si on s’inscrit on peut aller dessiner pour oublier un peu nos soucis. Pour le sport, c’est pareil, il faut s’inscrire. Par contre il n’y a pas de livres, non. Et le mercredi ou le jeudi on a le droit à 15 minutes pour aller dans la cour.
Pour les visites extérieures, comment ça se passe ?
On te demande d’abord si tu veux recevoir cette personne. Ensuite si tu dis oui, tu as 15 minutes pour parler avec elle dans une salle avec un agent qui te surveille à l’extérieur. Mais avant d’arriver à cette salle on te fouille deux fois intégralement et on fouille le visiteur aussi.
Pour avoir des médicaments ou un suivi médical, quelle est la procédure ?
Le 1er jour, ils te demandent si tu as des allergies, si tu as un traitement médical. Il y a un médecin dans le centre. Si tu as besoin de médicaments parfois tu tombes sur une personne qui est gentille, mais parfois tu tombes sur des agents qui sont très méchants. On ne te donne rien, parce que ça n’est pas l’heure à laquelle ils ouvrent la pharmacie, alors ils te disent de revenir dans 5 minutes ou 1 heure plus tard ou même le lendemain, alors que toi tu es malade maintenant. Et parfois même en revenant plus tard ils ne veulent pas te donner les médicaments.
Vous me dites qu’il y a un médecin, mais est-ce qu’il y a des psychologues ?
Il y a une dame qui accompagne la lutte contre les centres fermés, c’est une psychologue, elle venait me visiter, c’est quelqu’un de l’extérieur. Mais non je n’ai jamais vu un psychologue qui travaille pour le centre. Il y a des gens, des visiteurs, aussi, je ne sais plus si c’est mardi ou mercredi. Ils viennent là-bas pour parler avec toi dans le cachot. Ils demandent si tu as besoin d’un avocat ou nous donne des cartes de téléphone.
Quel était votre ressenti le jour où vous avez franchi la porte du centre ?
Je me suis dit : "Tu es en Belgique, on vote toutes les lois ici, c’est l’Union Européenne !" Et je me suis dit qu’en tant qu’être humain, si tu n’as pas de papiers on te met dans une prison. Pourquoi ? On te dirige, on te dit fait ça, fais ça, tu es dans un cachot.
Comment avez-vous vécu avec ce sentiment pendant deux mois ? Qu’est-ce qui s’est passé pour vous tout ce temps ?
C’est mon avocat qui m’a sauvé. J’ai été une première fois au tribunal à Liège et j’ai gagné, mais l’Office des Etrangers m’a appelé pour me dire qu’il n’était pas d’accord, donc on a refait un jugement à Bruxelles et j’ai encore gagné. Mais pendant tout ce temps, j’avais peur, je ne savais pas ce qui allait m’arriver et c’est long, très long. Il y a des gens qui restent plus longtemps en centre fermé ou bien qui sont renvoyés dans leur pays et on ne leur dit rien jusqu’au jour J. Tu n’as pas la notion de combien de temps tu vas rester.
Quand vous avez su que vous étiez libre, qu’est-ce que vous vous êtes dit ?
Je n’y croyais pas. Un agent m’a dit "tu es libre", j’ai répondu "Ne blague pas avec moi, non, dis-moi la vérité", il m’a dit "mais tu es libre". Voilà, j’ai dit "tu es sûr ?", il m’a dit "oui". Bon, en partant, j’ai même oublié mes chaussures là-bas (il rit). J’ai fait vite, je suis sorti, j’ai téléphoné à quelqu’un pour venir me prendre.
Est-ce que pour vous pendant ces 2 mois d’incertitude le suicide a été une option ?
Oui, parce que voilà, tu sais que personne en tant qu’être humain ne mérite ça, on t’enferme dans la chambre 24h sur 24, et donc il y a des choses qui
viennent dans ta tête. Il y a un moment où j’ai pensé boire le produit pour nettoyer.
Est-ce que vous voudriez partager un événement qui vous a marqué ?
Le premier jour où on m’a arrêté, ça m’a fait très mal à la tête. J’ai pleuré même. Je n’ai rien fait de mal et puis on m’a fait entrer ici, et puis…Nous on venait ici en Belgique pour gagner notre vie, car si en Afrique la situation était bonne, on ne viendrait pas en Belgique. Tu échappes à la guerre, tu viens ici, et on veut que tu retournes dans ton pays et ça, ça fait mal, très mal. Parce que, tu as passé beaucoup de pays, la Lybie, et ainsi de suite, et tu te remémores toutes les difficultés que tu as rencontrées. Tu demandes l’asile, tu racontes ton histoire, et on te dit que ton histoire est fausse et on te donne un avis négatif pour la demande d’asile.
Pour lire d’autres témoignages de personnes détenues en centres fermés et les soutenir concrètement, rendez-vous sur la page de Getting the voice out : http://www.gettingthevoiceout.org/ |
Lucie Sevestre
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