Nord/Sud
Rapatriements forcés par avion : j’ai interpellé Brussels Airlines
9 janvier 2020
© Elodie Kempenaer
"Le nombre d'expulsions s'élève à environ 11.000. Peut-on faire mieux ? Oui, mais nous travaillons dur afin de devenir encore plus efficaces. [...]", voilà ce que déclarait le cabinet du secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration Théo Francken en 2018. Or, ces expulsions renvoient des personnes dans des pays où elles ne veulent pas aller, ce qui met à mal le respect de leurs droits fondamentaux. Comment la compagnie aérienne Brussels Airlines se positionne-t-elle face à cette violation des droits humains ? On lui a posé la question.
Une expulsion est un acte violent et traumatisant qui semble ne répondre à aucune règle systématisée 1, comme l’ont expliqué des personnes migrantes dans l’article du Soir du 15/11/2019 intitulé "On m’a traité comme un animal" : des migrants témoignent de violences policières lors de leur rapatriement forcé. De plus, bien souvent, les raisons d’expulsion sont soumises à des facteurs qui apparaissent comme partiaux et difficilement démontrables. Malgré cela, les personnes sur le point d’être expulsées et devant se défendre se retrouvent forcées d’expliquer et de qualifier des éléments personnels de leur vie. On a aussi pu observer, ces dernières années, l’organisation de rafles de personnes sans-papiers. Celles-ci sont arrêtées et peuvent être expulsées par avion.
Il est difficile de ne pas se poser la question de l’implication des compagnies aériennes. En 2018, au Royaume -Uni, la compagnie aérienne Virgin Atlantic a décidé de ne plus soutenir ce type de politique migratoire. En Belgique, aucun acte de ce type n’est à signaler. Au contraire, beaucoup d’associations rapportent une véritable collaboration entre l’Etat Belge et des compagnies aériennes. Une est pointée du doigt en particulier : Brussels Airlines.
Lien entre les expulsions par avion et Brussels airlines : quelques éléments chronologiques
Quelques informations historiques sont nécessaires pour mieux appréhender les liens étroits entre la Belgique, la compagnie aérienne et les expulsions. Dans les années 20, la SABENA (Société Anonyme Belge d'Exploitation de la Navigation Aérienne) est créée et s’impose très vite avec sa ligne en direction du Congo notamment. La SABENA se développe dans un contexte de colonialisme en expansion. Les autorités belges instaurent leurs propres limites et règles de déplacement de leur population (en Belgique et au Congo) et de concert la nouvelle compagnie aérienne renforce ses lignes en Afrique. La compagnie s’impose très vite comme une spécialiste des destinations se trouvant en Afrique.
En 1998, après avoir été détenue 10 mois en centre fermé, Semira Adamu est emmenée de force par des gendarmes à bord d’un avion Sabena qui se rend au Togo. Ses pieds et ses mains sont menottés. Les gendarmes appliquent la technique du coussin. Semira Adamu décède ensuite d'un oedème cérébral provoqué par un manque d'apport en oxygène 2.
En 2001, c’est la fin de la SABENA et l’arrivée de Brussels Airlines. Mais rien n’a changé, les nouveaux dirigeants ne font que reprendre une politique déjà bien engagée et avec le développement de nouvelles destinations africaines augmente le nombre d’expulsions.
Que dit Brussels Airlines ?
Lorsque nous tentons de savoir ce qu’il en est auprès de la porte-parole de Brussels Airlines pendant un entretien téléphonique, voici sa réponse : "Nous sommes une compagnie aérienne, nous ne connaissons pas l’identité des passagers qui fréquentent nos lignes. Nous n’avons pas de lien avec le gouvernement."
Le même discours est tenu lorsqu’on évoque le boycott de la compagnie par certains citoyens ou lorsque nous évoquons le cas de ces six passagers qui ont été arrêtés pour s’être opposés à une expulsion, en août 2016, sur le vol à destination de Douala et Yaoundé au Cameroun. Le mot neutralité revient souvent dans le discours de la porte-parole.
Les questions à se poser…
Est-ce vraiment faire preuve de neutralité que de ne pas agir ? Peut-on se permettre de rester neutre face à de telles situations ? Au nom de quelles valeurs peut-on assumer une collaboration qui bafoue les droits humains ? Des questions à se poser et à poser à tous et toutes pour rétablir la dignité humaine de ces personnes expulsées qui n’ont souvent commis d’autres crimes que de ne pas avoir de papiers.
Personne n’est illégal.
Comment faire partie du changement ? Comment empêcher une expulsion ?
- Quelques pistes avec la Campagne "Brussels Airlines : stop déportations" à voir sur https://brusselsstopdeportations.net/
- Facebook: Brussels Airlines Stop Deportations
1 Et ceci au contraire de ce qu’affirme le porte-parole de la police fédérale, Régis Kalut qui affirme que ces retours forcés sont soumis à des règles strictes.
2 Pour connaître l’histoire de Semira Adamu, voir le Journal des Sans Papiers, n°7 septembre/octobre 2018
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"Ils ont craqué, pas nous"
Il est 16h05 quand nous arrivons au parking d’un centre commercial situé en face de "Vottem". Ici, c’est comme ça qu’on appelle le centre fermé. Une ambiance calme règne. Il fait nuageux, sombre et humide. On est samedi et une petite poignée de manifestants d’une septantaine d’années arrive. Ils s’appellent Léon, Freddy, Robert et Didier. Certains sont enseignants, l’un est un ancien pompier, un autre est agriculteur. Ça fait 20 ans qu’ils viennent ici tous les samedis après-midi de 16 à 17h. Et les 10 premières années, ils venaient même le mercredi et le samedi. Ils font partie du CRACPE et manifestent pour la fermeture des centres fermés.
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2 mois en centre fermé : il en est sorti et il nous raconte
En octobre, Lucie a rencontré un homme sans-papiers. Originaire du Sénégal et âgé d’une quarantaine d’années, ce monsieur lui a raconté sa détention dans un centre fermé.