Nord/Sud
Vottem, 20 ans de lutte
9 janvier 2020 - par Rabia Benkhabba
© Amandine Kech
Non loin des murs du centre fermé de Vottem, samedi 12 octobre, les journalistes volontaires chez Magma asbl ont fait la connaissance des militants du Collectif de Résistance aux Centres fermés pour Étrangers, le CRACPE. Leur présence sans faille depuis 20 ans est une source d’inspiration. Rencontre avec Didier, militant du CRACPE.
Vous êtes là depuis 20 ans, manifestez-vous chaque samedi ?
Oui, chaque samedi. Durant les 10 premières années c’était le samedi et le mercredi.
Combien êtes-vous en général lors de ces rassemblements ?
On est 5 ou 6. Nous ne sommes pas un groupe avec des frontières très précises. Nous avons différents types d’engagement. Il y a des personnes qui viennent le samedi, puis d’autres. Cela dépend des disponibilités des uns et des autres.
Est-ce que vous envisagez d’élargir le groupe ?
Oui, effectivement, on a fait une affiche car on organise une soirée dans cet objectif le 18 octobre à Liège. Le fait que ça soit assez régulier, année après année, c’est difficile de tenir le coup. Surtout quand la police vient avec sa camionnette pour nous observer et nous ennuyer avec le bruit du moteur.
Quelles sont les difficultés que votre groupe rencontre ?
Comme je viens de le dire, c’est la police, ils nous gênent physiquement. De temps en temps, nous recevons des insultes de voitures qui passent à côté de nous. Il y a aussi les voisins, une vieille dame a dit que l’on avait tué son mari. Elle dit que par notre présence nous créons du stress, il serait donc tombé de l’escalier. Elle nous accuse d’en être responsables.
Je dirais qu’il y a un automobiliste sur vingt qui réagit d’une façon ou d’une autre. Une fois, c’est pour nous encourager, d’autres fois c’est pour hurler des trucs racistes que je ne répéterai pas. Nous avons eu trois fois affaire à l’extrême-droite, le front national, ils sont venus, psychologiquement et physiquement, nous menacer, on est passé très près de la bagarre physique !
Est-ce que pendant ces 20 ans de lutte, vous avez réussi à faire sortir des gens qui étaient dans le centre fermé ?
Il faut dire qu’on a trois ou quatre actions différentes, il y a l’action du samedi, il y a la permanence téléphonique, et il y a aussi une récolte de fonds qui sert à la fois aux cartes recharges de téléphone pour les personnes enfermées, mais également aux frais de déplacement en autobus, à l’inscription dans les écoles (promotion sociale, écoles secondaires et du supérieur) pour des enfants et quelques adultes qui sont sans-papiers. Nous organisons deux manifestations importantes en mars et en avril chaque année. Le soir de Noël nous faisons une chaîne humaine autour du centre. Par téléphone, nous donnons des infos aux avocats pour certains détenus qui nous le demandent.
Donc oui, on a vu libérer beaucoup de personnes par ces interventions pendant les vingt dernières années. On peut vous raconter des histoires qui se sont bien déroulées. Par exemple celle d’un de nos amis qui était détenu ici-même à Vottem, il est sorti et aujourd’hui il attend un heureux événement.
Selon vous, est-ce qu'il y a moyen, grâce à l’appui d’autres groupes de militants, de parvenir à fermer ces centres ?
Les gens qui estiment qu’il faut supprimer les centres fermés sont moins nombreux que les gens qui estiment qu’il faut continuer à les faire fonctionner. Je crois qu’il faut apprendre à lutter, en tout cas selon moi.
Ce qu’on a réussi à faire c’est qu’au moins dans ce centre il n’y a pas d’enfant ni de famille, et qu’il ne s’est pas agrandi. Le camp militaire abandonné juste à côté ne s’est pas transformé en centre fermé et on a réussi aussi à ce que le centre ne soit pas souvent rempli. Mais je crois que je ne verrai pas de mon vivant la fermeture de Vottem.
Vous avez parlé des familles et des enfants dans les centres fermés. En Belgique, on a déjà enfermé des familles, pouvez-vous nous parler de ça ?
Oui bien sûr, je sais qu’il existe des places pour familles et pour enfants dans un des centres fermés. Mais le Conseil d’Etat a décidé d’arrêter ça pour des raisons acoustiques. J’ai entendu dire qu’ils allaient mettre du triple vitrage et recommencer.
Que pouvez-vous faire contre ça avec votre groupe ?
On donne toujours priorité à ce qui se passe ici à Liège, mais je participe de temps en temps à des manifestations en dehors de Liège. Il y a bientôt une marche contre le futur centre fermé à Jumet. Il s’agit du deuxième centre en Wallonie et on sera plusieurs à y participer. Parfois il nous arrive de nous réunir pour d’autres occasions ici, à Vottem, par exemple lorsqu’il y a un suicide ou une grève de la faim.
On arrive à communiquer avec les détenus avec des mégaphones chaque samedi et ils nous dictent leur nom et on note dans un carnet tout ce qu’ils nous expliquent.
Est-ce que vous avez envie de dire une dernière chose pour cette interview ?
J’ai 65 ans, je n’ai pas connu la guerre, je suis né 10 ans après. Mais, mes parents m’en ont beaucoup parlé. Tous les gens de mon âge, quand on était petit, nous vivions encore avec ces souvenirs.
Ce qui se passe ici est semblable à de la résistance. Résister contre quelque chose qui est très puissant : le rejet des étrangers. Il faut apprendre à vivre en entretenant cet esprit de résistance pour ne pas s'habituer à ce genre d'idéologie. Pour moi ça fait vingt ans et je ne m’habitue toujours pas à ce climat. C’est anti-humain, inégal et contraire aux droits humains.
On gagnera par la résistance comme dans le passé, mais pas tout de suite. Il faut entretenir la flamme.
Rabia BENKH
Journaliste citoyen
Volontaire dans l’équipe de rédaction de Magma asbl, Etterbeek.
Histoire des manifestations du Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers, le CRACPE, à Vottem, Liège
“Journée noire pour les sans-papiers de Belgique en général et ceux de Liège en particulier : ce 30 avril 1994, le conseil des ministres fédéral vient de décider l’implantation d’un centre fermé à Vottem”.
En 1997, le CRACPE est né de la volonté de l’antenne liégeoise de la ligue des droits de l’homme, de la FGTB/CSC, des FPS, et d’autres acteurs. Le but du CRACPE est la lutte contre les centres fermés.
La toute première manifestation a lieu le 8 mars 1997 pendant que le centre fermé de Vottem est en chantier. De nombreux moments de rassemblement se sont ensuite succédé :
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Le 1er mars 1998 soit moins de 10 jours avant l’ouverture de "Vottem", plus de 2000 personnes indignées se rassemblent devant les grilles du bâtiment flambant neuf.
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Le 10 mars 1998 au lendemain de l’ouverture officielle du centre fermé de Vottem, plus de 100 personnes s’y rassemblent pour protester une fois de plus contre ce centre de détention. Mais le 13 mars 1998, "Vottem" se fait connaître par une tristement célèbre manifestation de 300 sympathisants. En face d’eux, 300 gendarmes, un hélicoptère, 3 autopompes, des chevaux, une barrière de défense, …
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Le 29 avril 2006, plus de 300 personnes s’opposent, par une manifestation, à l’ouverture d’un centre fermé pour mineurs étrangers à "Vottem". En juin de la même année, ce projet monstre est abandonné à jamais. C’EST LA PLUS GRANDE VICTOIRE DU CRACPE.
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A partir de 2010, les manifestations devant "Vottem" sont organisées une fois par semaine, tous les samedis. A l’heure actuelle, le rassemblement est organisé le samedi après-midi. Toujours au rendez-vous, le collectif fait preuve d’une détermination sans faille.
Rabia BENKH
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France Arets, une irréductible liégeoise
Le Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers (CRACPE) est né dès 1997, pour empêcher l’ouverture du centre fermé de Vottem, pour se battre contre les centres et l’arrêt total des expulsions et revendiquer une politique d’asile et d’immigration respectant les droits humains. Interview de France Arets, une des militantes de la première heure du CRACPE.
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"Ils ont craqué, pas nous"
Il est 16h05 quand nous arrivons au parking d’un centre commercial situé en face de "Vottem". Ici, c’est comme ça qu’on appelle le centre fermé. Une ambiance calme règne. Il fait nuageux, sombre et humide. On est samedi et une petite poignée de manifestants d’une septantaine d’années arrive. Ils s’appellent Léon, Freddy, Robert et Didier. Certains sont enseignants, l’un est un ancien pompier, un autre est agriculteur. Ça fait 20 ans qu’ils viennent ici tous les samedis après-midi de 16 à 17h. Et les 10 premières années, ils venaient même le mercredi et le samedi. Ils font partie du CRACPE et manifestent pour la fermeture des centres fermés.
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2 mois en centre fermé : il en est sorti et il nous raconte
En octobre, Lucie a rencontré un homme sans-papiers. Originaire du Sénégal et âgé d’une quarantaine d’années, ce monsieur lui a raconté sa détention dans un centre fermé.
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Déconstruire les centres fermés - organiser l’accueil !
Les centres fermés sont des lieux où notre pays enferme des personnes migrantes dépourvues de documents considérés comme valables pour vivre en Belgique. Des milliers de femmes et d’hommes innocents sont détenus chaque année dans ces centres, construits et gérés comme des prisons.