Nord/Sud

Rencontre avec Stéphanie Ngalula

13 juin 2019 - par Stéphanie Bosnjak

© Stéphanie Ngalula

Responsable de la Cellule afro-féminine au CMCLD[1].

Pourrais-tu te présenter en quelques mots à travers tes différentes identités ?

Je suis une afropéenne militante décoloniale et une féministe intersectionnelle. Le tout est intrinsèquement interdépendant et lié à mon identité. Je suis à la fois femme et noire élevée en Occident et ces différents courants font fluctuer mon quotidien, mes relations sociales et professionnelles.

Quand as-tu rejoint le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations ? Quel y est ton rôle ?

J’ai rejoint le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations voilà presque deux années. J’y suis devenue responsable de la Cellule afro-féminine. J’en suis assez fière car cette cellule essaie de mettre en lumière les apports des sociétés africaines au féminisme avant même qu’il ne soit nommé de la sorte et surtout se détache des diktats du féminisme mainstream universaliste.

Que signifie pour toi « décoloniser les imaginaires » ?

Décoloniser les imaginaires c’est aborder - avec honnêteté, sincérité, sans tabou et de manière la plus indépendante possible - la manière dont la société a été construite sur base de races, de la hiérarchisation de celles-ci et la continuité systémique d’un système de domination porteur de stéréotypes coloniaux. La décolonisation des imaginaires n’est donc pas seulement changer de pratiques mais surtout et nécessairement penser un autre paradigme et déconstruire consciemment.

Que signifie pour toi « décoloniser l’école » ?

C’est dès l’école maternelle et primaire que se jouent les premiers enjeux. C’est d’autant plus crucial à l’école pour la simple raison que c’est notre premier lieu de socialisation ; là où on apprend les codes, ce qui est valable ou pas, où est notre place ou non, ce qui est acceptable ou pas. C’est notre première usine de pensée collective. Qu’on ne s’abuse, on ne naît pas avec l’esprit colonial : on nous l’inculque de manière subtile et ce dès les premiers instants (dans les manuels scolaires, les bandes-dessinées, les illustrations, les dessins animés etc.)  Le système de pensée colonial n’est en rien la prérogative des personnes âgées et/ou ne se réfère pas à des pratiques des temps immémoriaux. Au même titre que ces représentations ont été construites dans l’imaginaire collectif au même titre il faudra déconstruire ce modèle de manière consciente et systématique notamment par des politiques affirmatives et volontaristes.

C’est, selon moi, la pierre angulaire d’une conscience collective et d’une citoyenneté inclusive.

En tant que femme militante afro-féministe aujourd’hui en Belgique, quel message voudrais-tu faire passer à la génération Z (95-…)?

Le passé renferme une certaine forme de prophétie, il est dès lors vital que nous, personnes marginalisées, racisées, précarisées, handicapées et/ou criminalisées – avec le concours de nos alliés – nous nous emparions de l’écriture d’aujourd’hui pour que l’histoire de demain nous compte parmi ses narrateurs. Ne nous laissons pas bercer par les chants des sirènes qui aiment à nous faire croire que nous n’avons aucun pouvoir. Rien ne nous sera acquis sans une vigilance de chaque instant. Emparez-vous des questions sociétales, militez, positionnez-vous, rebellez-vous, prenez soin de votre santé mentale, n’acceptez jamais une pseudo-paix qui ne s’entend qu’au prix du renoncement de vos luttes légitimes et du reniement de vos appartenances multiples.

La cohésion sociale sera intersectionnelle ou ne sera pas.


Stéphanie Bošnjak
 

Lexique by Stéphanie Ngalula :

  • Militantisme décolonial : engagement citoyen et/ou politique visant à débarrasser la société des inégalités, des injustices et des tares implantées historiquement en elle par le système colonial et sa propagande.
  • Afropéen·ne : personne noir-e ou afrodescendat-e née ou élevée en Europe. C'est donc une identité mêlant africanité et européanité.
  • Racisé·e : personne non blanche (assignée à une certaine race du fait de certaines caractéristiques ethniques).
  • Féminisme intersectionnel : construit sur la reconnaissance préalable de la simultanéité des dominations/oppressions/discriminations que peut subir une femme dans une société donnée.
  • Afro-féminisme : issu du féminisme intersectionnel, il entend d'une part pallier les lacunes du féminisme "classique"/eurocentré qui ne prend pas en compte les spécificités de la condition des femmes noires. D'autre part réhabiliter l'histoire féministe africaine et ses acquis avant la période coloniale.
  • Interdépendant : désigne des personnes ou des choses qui dépendent les unes des autres.
  • Paradigme : représente tout l’ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné.


Avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin 

 


[1]Le Collectif « Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations » (CMCLD) est un regroupement de fait de plusieurs associations africaines de Flandre, de Bruxelles et de Wallonie. Ce regroupement s'est effectué autour de deux thématiques principales : la mémoire coloniale et la lutte contre les discriminations, deux thématiques très présentes dans la composante d'ascendance africaine de la population belge. https://www.memoirecoloniale.be/presentation