Société
Balle Perdue : le théâtre comme arme de sensibilisation massive
23 septembre 2024
© Blaise Fevry
Fruit de six mois d’ateliers d’exploration thématique et artistique, Balle Perdue est une création collective de théâtre-action par huit jeunes comédien·nes amateur·ices, âgé·es de 20 à 30 ans, qui ont voulu s’exprimer sur un sujet qui les concerne ou les touche particulièrement : les violences policières. Partant d’expériences propres, ils et elles ont puisé dans leurs vécus pour mettre en scène des situations réalistes et problématiques de faits de bavures policières. Tout en informant et en sensibilisant sur les droits que les citoyen·nes ont face à la police, la troupe a utilisé le théâtre-action comme moyen pour interpeller le public et le faire réagir à ce qu’il a vu sur scène. Retour sur un processus de création riche et émancipateur.
Depuis longtemps, la question des violences policières interpelle nos volontaires et revient régulièrement dans nos projets. En 2023, notre organe d’administration – composé principalement de jeunes et d’anciens volontaires – a exprimé sa volonté de remettre la thématique à l’ordre du jour, cette fois à travers un autre moyen d’expression : le théâtre. Pour mettre le projet en place, la collaboration avec Ras El Hanout* était une évidence. L’association, spécialiste de la création artistique amateure, a pu apporter toute son expertise au projet et guider les participant·es dans leur découverte du théâtre-action**. De plus, Ras El Hanout ne manque pas d’outils sur la question des violences policières, notamment grâce au travail qu’ils ont effectué avec Irondale, une troupe de théâtre new-yorkaise qui ne fait pas que du théâtre puisqu’elle œuvre également à « construire une confiance et une compréhension mutuelle entre la police et les citoyen·nes » à travers des programmes spécifiques. Magma s’est quant à elle chargée de nourrir la réflexion des participan·tes au niveau du contenu, par exemple en invitant des intervenant·es, comme Rémy Farge de la Ligue des droits humains, Latifa Elmcabeni, fondatrice du Collectif des Madrés, Sarah Bahja, de Zin TV, qui a donné un atelier sur la représentation médiatique des violences policières… Et même des rencontres avec les principaux concernés par le sujet de la pièce : deux anciens policiers venus parler des dérives de la police (et pourquoi ils l’ont quittée), et des policier·es de la zone Montgomery.
« On se dit que le problème c’est la police, mais c’est plus large » Si certain·es des participant·es avaient des bases en théâtre classique, tout le monde se lançait dans le théâtre-action pour la première fois. Il a donc fallu se familiariser avec la technique : les premiers mois, tandis que chacun·e se nourrissait des rencontres avec les intervenant·es externes, des petits ateliers d’impro étaient organisés en parallèle. Le processus de création avait donc beaucoup d’importance, tout autant que la pièce finale, qui s’est jouée à Mons et à Bruxelles. Les comédien·nes témoignent de cette expérience joyeuse, engagée et créatrice de liens:
- LENI « Pour moi, un moment phare du projet, c’est la rencontre qu’on a faite avec deux policiers. On a eu l’occasion d’avoir des échanges riches avec eux. C’était fort d’entendre les témoignages et les vécus de chacun·e, de confronter les opinions. Et c’était indispensable dans la construction d’un projet comme celui-ci. »
- YASSIR « Ce qui m’a particulièrement touché, ce sont les rencontres avec les journalistes, la Ligue des Droits Humains, les policiers, les familles des victimes... Ce projet est important pour que les gens comprennent que les violences policières existent et qu’elles concernent tout le monde. On se dit que le problème c’est la police, mais c’est plus large : c’est un engrenage qui nous dépasse et qui est tellement vaste qu’on ne sait pas par où commencer. »
- NASSIM « Les violences policières nous concernent tous et toutes, de près ou de loin. Pour moi, c’était important de développer quelque chose autour de ça via un projet culturel et dynamique. C’est une très belle expérience sociale : à la base on était des inconnus et maintenant on partage des liens, je suis même devenu ami avec certains. »
- MORGANN « On ne parle pas beaucoup des violences policières au théâtre. En tant que personne racisée, on a conscience des violences policières, on les voit tous les jours. Quand on ne peut pas forcément changer les choses, faire partie d’un projet comme ça, c’est incroyable. »
- CHARLOTTE « D’habitude j’aime avoir le contrôle sur les choses, ici j’ai appris le lâcher-prise parce que je suis arrivée en plein milieu du projet. Ça m’a aussi appris à compter sur l’autre. Et puis pouvoir parler d’un sujet aussi important, que notre jeunesse vit, c’est un honneur parce que malgré les manifestations et tous les projets mis en place, on n’en parle pas assez. »
- AUDREY « On s’est vraiment documentés pendant une période longue, on a rencontré des policiers pour ajouter du contenu à la pièce mais aussi pour avoir davantage d’outils pour faire face aux policiers dans la vraie vie, demander des explications… On ne se rend pas compte à quel point les institutions dans lesquelles on évolue sont mal faites, et l’injustice qui en découle. C’est ça aussi qu’on montre dans la pièce. »
- WADIE « On a aussi appris le dépassement de soi dans ce projet. J’ai une relation difficile avec la police et aller à leur rencontre c’était un challenge. J’ai aussi développé de la confiance en moi pour mes projets futurs. C’était vraiment une aventure parce que ça s’est étalé sur une longue période de temps, c’était un long chemin avec des hauts et des bas, mais on l’a fait. »
- SOULAÏMANE « Le projet m’a beaucoup apporté. J’ai beaucoup appris. Et avec le temps, le groupe est devenu comme une famille. Après une semaine ou deux j’avais l’impression de les connaître depuis super longtemps. On se comprend sans se parler, en se regardant juste. Je peux pas t’expliquer le sentiment, c’est incroyable. »
Balle Perdue est à (re)voir à la rentrée 2024, à Liège (le 16 novembre) et à Anderlecht (le 23 novembre). Plus d'infos sur nos réseaux sociaux.
- * Ras El Hanout fut fondée en 2010 par un groupe d’amis bruxellois croyant au théâtre comme moyen d’émancipation et de dialogue. Le nom de Ras El Hanout désigne en arabe un mélange d’épices venues du monde entier et signifie littéralement “la tête de l’épicerie”. Ce mélange est réputé être le meilleur et symbolise le caractère enrichissant du brassage des cultures, et son goût piquant rappelle leur démarche engagée. Depuis 2015, Ras El Hanout est installée à l’Epicerie, en plein cœur de Molenbeek-Saint-Jean. L’association mène des activités d’éducation permanente, d’expression à la créativité et de création artistique amateure et professionnelle, dans une optique d’empowerment et de cohésion sociale. Ses objectifs : promouvoir l’expression des différentes cultures à travers la réflexion, le dialogue et l’échange et d’offrir un espace d’expression, de partage, d’expérience, d’acquisition de connaissances et de savoir-faire. Plus d’infos sur ras-el-hanout.be/
- ** Le théâtre-action, ou théâtre forum, est une méthode de théâtre interactif, écrit et interprété par des comédien·nes non professionnel·les, victimes d’une ou de plusieurs formes de domination. Ils et elles « utilisent le moment de la création théâtrale pour découvrir et interroger les rapports de force et d’exploitation, mettre en lumière les mécanismes à l’œuvre, et apprendre à les déceler ou les anticiper ». Lors de la représentation, les comédien·nes interpellent le public : qu’est-ce qui vous a marqué dans cette scène ? Y a-t-il un problème ? (spoiler : oui). Le public est ensuite invité à penser des alternatives à la scène, et parfois à remplacer un·e acteur·ice pour jouer sa propre version qui infléchirait le cours des événements.
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