Société

Comment accepter?

25 mai 2021 - par Colin Bertrand

"Comment accepter?", c'est le pamphlet de Colin Bertrand, qui ne veut pas se résigner à accepter et subir les injustices quotidiennes. "Et toi? Et moi? Et nous tous?" Rejoignons son appel à ne pas accepter!

Comment accepter ? Comment accepter après la catastrophe de Bhopal, après Tchernobyl, après Fukushima, après l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, après l'explosion au port de Beyrouth Comment accepter de rester les bras croisés ? Comment accepter de se tenir tranquille ? Comment accepter d'attendre sans rien faire que cette funeste série d’événements s'allonge ?

Comment accepter ? Comment accepter après le massacre des Italiens à Aigues-Mortes, après les naufrages de migrants à Lampedusa, après le camp de Kilis, après les horreurs du parc Maximilien ? Comment accepter de rester passif devant les métastases du racisme qui gangrènent l'âme de la société ?

Comment accepter ? Comment accepter d'entendre l'histoire de ce jeune Guinéen, expulsé de la Belgique où il avait trouvé un métier et l'amour ? Son village entier s’était cotisé pour l'envoyer en Europe où il pourrait gagner un peu d'argent et aider le clan à sortir la tête de l'eau. Comment accepter de porter cette honte ? La sienne, celle de l'échec dans son odyssée ; la nôtre, de l'avoir anéanti dans ses rêves, d'avoir brisé ses chances de survie : sans état d'âme.

Comment accepter ? Comment accepter de savoir que cet adolescent Afghan, expulsé de même, s'est noyé dans la mer en tentant de revenir ? Comment accepter que l'idée même de la mort lui semblait peu de choses en comparaison de la misère et des charniers ?

Comment accepter ? Comment accepter les interrogatoires interminables, les questions sans queue ni tête, quand des fonctionnaires évaluent la légitimité de donner l'asile à un Congolaise ? Comment accepter de s'interroger sur le fait de la renvoyer à l'emprisonnement à vie ou à la peine capitale ?

Et pourtant, nous l'acceptons ! Nous? Mais oui ! Nous tous... Avec nos décideurs politiques, nos professeurs d'université, nos chercheurs, nos cadres supérieurs, nos entrepreneurs, nos traders, nos boutiquiers, nos badauds, nos jeunes et nos moins jeunes, nos oppresseurs, nos dominants, nos privilégiés. Nous : notre société occidentale.

Nous l'acceptons, nous nous y résignons parce qu'après tout, qu'y pouvons-nous ? Le réchauffement climatique ? Pas nous. La colonisation ? Pas nous. Le néolibéralisme à outrance ? Pas nous. Le patriarcat ? Pas nous. Les flux migratoires ? Pas nous.

Pas nous. Pas nous. Pas nous.

« Mon voisin, il fait pire que moi. Il roule en Range Rover » ; « Ce sont les Américains, les Chinois, les pays de l'OPEP, les plus gros pollueurs » ; « Ce n'est quand même pas de ma faute si nos ancêtres ont envahi l'Afrique, et l'Asie, et l'Amérique du Nord, et l'Amérique du Sud et le monde entier ! » ; « Il faut quand même se méfier des islamo-bobo-gauchistes » ; « Elle a quand même pas tort sur tout Marine Lepen » ; « N'empêche, il faut protéger nos racines judéo-chrétiennes ».

Entre l'acceptation, la résignation et le déni, il n'y a qu'un pas. Un pas que nos compatriotes, que nos représentants, que nos philosophes n'ont pas hésité à franchir... que NOUS n'hésitons pas à franchir. À quoi bon se remettre en question, si l'on peut se dédouaner de tous les maux ? À quoi bon subir les conséquences du réchauffement climatique et de la migration quand on se persuade d'être étranger à     leurs causes ? À quoi bon s'imposer des efforts alors que d'autres n'en font soi-disant aucun ?

Alors la responsabilité, qui aura la charge de la porter ? Au jour où des familles entières sont déportées à cause d'incendies en Australie, au Brésil ou en Californie ? Au jour où des ouragans emportent des villages entiers dans les Caraïbes ? Au jour où des agriculteur.trice.s voient leurs cultures dévastées par des inondations en Asie ? Au jour où des criquets envahissent la corne de l'Afrique ? Au jour où l'aridité du Sahara devient telle qu'elle empêche toute vie d'y fleurir et repousse les clans multiséculaires hors de ses entrailles ? Au jour où l'érosion des côtes laisse gonfler la mer au-delà des terres arables ? Qui portera la responsabilité du dérèglement climatique et de ses conséquences ? Qui ?

Et, l'une de ses conséquences, on la voit poindre. Non pas à l'horizon lointain, mais notamment aux portes de l'Europe. Des centaines de milliers d'individus sont contraints à l'exode, contraints de fuir devant les éléments déchaînés, devant la fureur d'une Gaïa martyrisée et de chercher l'asile climatique, en Belgique ou ailleurs.

Et pendant ce temps, pendant que ces gens souffrent, se ruinent, se battent en quête d'un abri, nos hémicycles débattent de l'islamisme, du port du voile, de « crises » migratoires, d'expulsions, de centres fermés, d'eugénisme. Pendant ce temps, Théo Franken dîne avec les anciens amis du troisième Reich. Pendant ce temps, Charles Michel rend visite au groupe de Visegrád, à Orban & Cie. Pendant ce temps, Darmanin et Lepen flattent leur ego sur les plateaux de télévision. Pendant ce temps, Éric Zemour s'égosille sur le grand remplacement. Pendant ce temps, le parti Nation organise des pèlerinages dans des châteaux moyenâgeux et réécrit l'histoire.

Pendant ce temps, surtout, nous les laissons faire. Mais dans ce laisser-faire, c'est une part de notre humanité que nous abdiquons.

La civilisation affronte le plus grand défi de tous les temps ; nos femmes et nos hommes politiques continuent d'avancer, avec comme unique vision les prochaines élections.

Alors, comment accepter ? Comment accepter sans sourciller cet état de fait ? Comment accepter de surseoir aux actions directes ?

Et nous l'acceptons...

Mais le sursaut du réveil a débuté ! Les jeunes, les femmes, les immigré.e.s, les travailleur.euse.s précaires, les étudiant.e.s, les concerné.e.s, les discriminé.e.s, ont commencé à lutter !

Ils déconstruisent le vieux monde, ils abattent les murs, battent les frontières en brèche, militent pour une justice climatique et sociale, accueillent les infortuné.e.s, détricotent les résidus nauséabonds de la thésaurisation, arrachent le pouvoir aux mains des nanti.e.s ; Ils déconstruisent le vieux monde pour en bâtir un nouveau.

Pour établir, une société idéale, une société égalitaire, une société libertaire, une société inclusive.

Ils reconstruisent le monde avec comme fondement l'amour de la Nature, avec comme fondement la parité entre sœurs et frères, avec comme fondement la démocratie directe, avec comme fondement la collaboration de toutes et tous.

Et à cette question : comment accepter ? Ils répondent, en chœur : Nous ne l'accepterons jamais !

Et toi ? Et moi ? Et nous tous ? Quel camp déciderons-nous de choisir ? Parce que le temps est venu d'abandonner la passivité et d'affronter les enjeux migratoires et climatiques, ensemble !

 

 

Colin Bertrand

 

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