Société
L’intersectionnalité, comme le slam, c’est l’urgence de dire l’injuste !
27 mars 2020
© Stéphane Deleersnijder
Figure incontournable du monde du slam, Lisette Lombé est une artiste afroféministe belgo-congolaise. Son amour de la poésie, elle l’exprime à travers des collages, des textes, des performances, des installations, mais aussi des ateliers d’écriture. Autrice de trois livres et fondatrice du Collectif L-SLAM, elle a été récompensée en tant que Citoyenne d’Honneur de la Ville de Liège pour sa démarche d’artiste militante.
J’imagine Chicago et ses lumières. Chicago et sa foule. Chicago et ses gratte-ciel. Il y avait sans doute du monde dans le bar. Sans doute des hommes et des femmes autour d’un ou de plusieurs verres. Sans doute un fond musical pour les accompagner. Sans doute un barman qui s’exécutait. Sans doute des va-et-vient. Sans doute des éclats de rire, des confidences, des promesses, des projets, des rêves et des regrets dans la salle. C’est dans un bar de Chicago, dans les années 80, qu’est né le slam. Son créateur, Marc Kelly Smith, voulait réveiller la poésie en organisant des compétitions de textes dits avec comme règles principales : une soirée ouverte à tous, pas plus de trois minutes sur scène et un jury choisi au hasard dans le public. "Slam" signifie claquer. Il fallait que l’écriture, l’expression scénique et l’oralité puissent claquer ensemble, puissent susciter de l’émotion.
Lisette, le slam, c’est dénoncer ?
Pour moi, le slam, c'est l'urgence de dire l'injuste. Il s'agit de court-circuiter le temps long de l'édition, le circuit fermé de l'écrit et des institutions.
Qui écrit un texte le fait entendre. Dans un monde qui court et qui beugle, il y a parenthèse d'écoute. Dans un monde de consommation, il y a gratuité et nourriture poétique en cadeau. Dans un monde où celui qui gueule le plus fort est le plus entendu, où la parole se coupe, où la langue de bois est reine, il y a langage de feu, authenticité, humilité. En ce sens, il y a militance souterraine, par la bande. Sauver les cœurs, les âmes, c'est un premier pas pour sauver le monde.
La scène slam est un catalyseur, un miroir, un entonnoir, un condensé des changements dans la société. On la regarde, on voit ce qui s'annonce dans le monde. Plus de femmes, de personnes trans*, de personnes racisées*, etc. Et ces personnes sont debout.
Pour toi, que signifie le terme intersectionnalité ?
Je ne suis ni sociologue ni chercheuse, donc ma définition de l’intersectionnalité, je la trouve dans mon propre vécu.
Je suis une femme racisée, diplômée, issue de la classe moyenne. Malgré mes quelques privilèges, je suis quotidiennement victime de discriminations, principalement liées à ma supposée ‘RACE’. Je dois régulièrement me repositionner sur des échiquiers différents, avec des rapports de force et des impensés également différents. Des situations ardues, où, seules des prouesses d’équilibristes, permettent d’éviter la chute.
Pour moi l’intersectionnalité, c’est comme le slam, c’est avant tout l’urgence de dire l’injuste, une grille de lecture pertinente pour comprendre les discriminations. L’intersectionnalité, c’est aussi, selon moi, l’approche la plus progressiste justement à cause de l’exigence qu’elle impose : croiser les discriminations, attaquer les systèmes de domination, pas hiérarchiser les luttes, etc.
"Qu'il y ait communauté
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Collage : Lisette Lombé |
Certains soirs, les femmes noires
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Interview réalisée par GLORIA MUKOLO, journaliste citoyenne, équipe Magma Bruxelles
*Personne racisée : Une personne racisée est une personne vue comme appartenant à une prétendue race et qui souffre, de ce fait, de racisme. Ce concept permet d’appréhender la notion de racisme en s’éloignant de la notion de race, puisqu’elle est infondée, tout en gardant le lien avec sa prétendue existence. Définition issue du site web de l'asbl Femmes de Droit - droit des femmes.
*Personne trans : Qui concerne les personnes dont l'identité sexuelle psychique ne correspond pas au sexe biologique.
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